Chronique | Master Boot Record - Direct Memory Access

Pierre Sopor 24 avril 2018

MASTER BOOT RECORD est un projet pour le moins intrigant. On pourrait pointer du doigt l'incroyable productivité du bonhomme qui se cache derrière ce nom déshumanisé : Direct Memory Access est son huitième disque en... à peine deux ans. On pourrait surtout remarquer le concept derrière, celui du tout synthétique, d'un univers musical totalement inhumain, inorganique qui pourrait aussi bien être l'oeuvre d'une intelligence artificielle. Du metal qui tabasse, mais sans vraie guitare ni vraie batterie, proche de THE ALGORITHM, le tout avec une bonne dose d'inspiration symphonique, mais blindé de sons chiptunes qui laisseront les plus nerds en extase. Ce serait cependant aller à l'encontre de la principale évolution de ce premier album sur le label Blood Music : l'arrivée d'un chant. Et oui. Et pas une voix générée par un ordinateur, non : celle de Laurent Lunoir, de IGORRR et ÖXXÖ XÖÖXMASTER BOOT RECORD s'humaniserait finalement ?

Ce n'est en tout cas pas flagrant avec la première piste, DRAM REFRESH. Sous air de bande-son de jeu vidéo boostée aux guitares synthétiques, ce premier morceau à la structure imprévisible a l'intensité narrative d'un opera, mais pleine de bips-bips archaïques. C'est fou, imprévisible et plein d'énergie... à condition, bien sûr, de ne rien avoir contre les sons aigus d'une console de jeux datant de la guerre froide. On parlait plus haut du chant, et c'est avec SOUND CARD 8-BIT qu'on l'entend pour la première fois. Laurent Lunoir vient créer un contraste fort avec l'univers de MASTER BOOT RECORD : sa voix chaude, théâtrale et chargée d'émotions tranche avec la froideur synthétique de la musique, son langage instinctif qu'il a inventé lui-même s'oppose au prévisible binaire des machines et le tout a quelque chose de primitif et magique aux antipodes d'un univers fait uniquement de machines. Sur FDD CONTROLLER, son chant guttural fait planer une sensation de danger sur les riffs lourds qui ouvrent le morceau. MASTER BOOT RECORD, après avoir conquis internet, pourrait se produire sur scène : ce morceau est carrément taillé pour, avec ses cassures de rythme et l'énergie qu'il dégage. On arrive presque à la moitié de cet album relativement court (une quarantaine de minutes) et il est temps d'envoyer le gros hit du disque : LPT1 ECP MODE est un titre totalement épique, un opéra digital sinistre et inquiétant, emmené par un synthé lourd et menaçant au final dément tout en violence et hurlements. Noirceur toujours avec CASCADE, probablement le titre le plus sombre de l'album, toujours avec ce chant primitif, grotesque et terrifiant sur fond de darksynth : là où on aurait imaginé que ces sonorités produiraient quelque chose d'aseptisé, le son est sale et anxiogène, étonnamment prenant. La transition avec HARD DISK se fait naturellement, nous amenant dans la dernière partie de l'album, uniquement instrumentale cette fois. On y retrouve toujours ces constructions labyrinthiques, même si la sensation de surprise provoquée par l'irruption du chant n'y est plus : on est à nouveau en terrain connu, malgré un ton généralement plus sombre et des morceaux qui nous offrent à chaque fois un final avec une batterie (synthétique, elle aussi) qui devrait ravir les fans de black metal les plus geeks. Parce qu'entre deux parties de Pac-Man, ça fait du bien d'invoquer Satan. Et alors qu'on commençait à saturer un peu de tous ces sons stridents de droïdes des années 70, l'album a la bonne idée de s'arrêter avant de devenir fatigant. 

Avec Direct Memory Access, MASTER BOOT RECORD franchi un cap. Non seulement, il réussit à ne pas lasser malgré ses sorties fréquentes, mais il fait évoluer sa musique vers quelque chose de plus sombre mais aussi de plus organique. Le mystère entourant ne faiblit pas, et l'aide de Blood Music derrière devrait garantir au musicien une visibilité nouvelle. L'avenir s'annonce bien, et on espère le voir continuer à pousser dans de nouvelles directions.