Chronique | Heilung - Lifa

Pierre Sopor 24 avril 2018

Récemment arrivé sur nos radars avec un premier album sorti en 2015, HEILUNG est devenu un projet musical incontournable pour amateurs de musique inspirée par le folklore nordique et germanique, ses runes, ses bois sombres et ses Vikings velus. Mais bien loin de marcher sur les plates-bandes de WARDRUNA, HEILUNG propose un son plus sombre, magique, incantatoire et parfois martial provenant tout droit d'une Scandinavie médiévale encore épargnée par l'influence du catholicisme. Le groupe, dont le noyau dur se compose de seulement trois musiciens, s'est également fait remarquer pour ses prestations scéniques, véritables spectacles avec costumes et accessoires d'époque, où plus d'une dizaine de personnes viennent participer au rituel sur scène. Lifa est un enregistrement live sorti fin 2017, rapidement épuisé et que le label Season of Mist a eu la bonne idée de rééditer. 

Vous l'aurez compris : la performance live est particulièrement importante chez HEILUNG, et pas que visuellement. Si Ofnir était un très bon album, ses morceaux prennent immédiatement une nouvelle ampleur une fois joués sur scène. Lifa s'ouvre sur une prière en Anglais, un anachronisme que se permet occasionnellement le groupe. C'est dans une ambiance silencieuse propice au recueillement que retentit la corne lançant In Maidjan avant que les incantations rauques de Christopher Juul et Kai Uwe Faust et les percussions répétitives ne nous plongent pour de bon dans cet univers primitif, mystique et inquiétant. La voix stridente de Maria Franz se fait parfois entendre, tantôt hululement de banshee, tantôt cri de furie, tantôt ricanement inquiétant. L'inspiration est nordique, mais on pense parfois aux chants des moines Tibétains, aussi bien pour les choeurs gutturaux que la répétitivité hypnotique des percussions. Pas étonnant quand on connaît l'importance du chamanisme dans ces régions, notamment sur les cultures Mongoles. Petit à petit le chant s'éclaircit, la cadence entêtante semble s'accélérer. Difficile à catégoriser, la musique de HEILUNG se définit comme étant de l'Amplified History. On comprend ce qu'ils veulent dire par là, l'aspect reconstitution à base de tenues traditionnelles et d'ossements humains est saisissant, et d'autant plus séduisant qu'on y devine une relecture autant fantasmée de l'époque que fidèle. Mais elle est aussi progressive, à l'image de ce premier (long) morceau, aux différentes partie et dont les mantras du début cèdent la place au chant possédé de Maria Franz en conclusion.

Si cette entrée en matière est fascinante, la suite n'est pas en reste. Aucun des cris de loups qui ouvrent Alfadhirhaiti ne nous avait préparés à la puissance de ce qui suit : rythmique martiale, choeurs vindicatifs de guerriers : le live décuple l'impact du morceau, toujours guidé par ces espèces de mantras magiques, interrompus par quelques croassements de corbeau qui donnent à cette marche menaçante une consonance funèbre. Le final a quelque chose d'apocalyptique, avec tous ces instruments qui se superposent, et Carpathian Forest vient apporter au live une respiration : avec sa durée plus courte et son texte simplement récité en Anglais au début, le titre fait office de première transition. Une des grandes forces de la musique de HEILUNG est de réussir à évoquer des images à l'auditeur : ainsi, le début de Krigsgaldr nous plonge dans une brume épaisse, un mélancolique matin d'hiver. Le chant clair de Maria Franz nous y guide comme un phare, offrant un contraste fort avec les voix rugueuses de ces deux compères. Quand les deux se remettent à scander leurs paroles, c'est à nouveau dans la langue de Shakespeare qu'ils se répondent : Beloved brother enemy / I sing my sword song for you / The lullaby of obliteration / So I can wake up with a smile / And bliss in my heart. Ambiance. La transition Hakkerskaldyr et son espèce de Hakka brutal n'apporte aucune trace de légèreté : la musique de HEILUNG est pesante de bout en bout, entre le rite funéraire et la marche au combat. Il n'y a que les hurlements et rires d'un ou deux zozos dans le public qui viennent détendre l'atmosphère. Pourtant, Othan porte une certaine lumière : les percussions y sont moins lourdes, le chant moins menaçant. En conclusion, Hamrer Hippyer continue cette évolution vers une ambiance plus respirable avec son rythme plus rapide que les autres titres et même des parties chantées à la façon d'un refrain accrocheur. Petit à petit, le morceau évolue en transe et meurt sous les applaudissements nourris du public.

Lifa n'est pas un simple album, ni un bête live. C'est une expérience primitive et magique proposée à un public, une oeuvre chamanique et anthropologique aussi fascinante qu'effrayante, noire et impressionnante. Le nom du groupe signifie "guérir" en Allemand, leur musique étant supposé avoir un effet relaxant et c'est vrai que les percussions et les vibrations des voix ont un effet apaisant et hypnotique. HEILUNG est un groupe relativement rare sur scène (niveau logistique, ça ne doit pas être simple), alors si vous avez l'occasion de les voir, foncez. Et prenez vos torches, la nuit s'annonce sombre et pleine de terreurs.