Chronique | Lindemann - F & M

Pierre Sopor 22 novembre 2019

Il y a quatre ans, Till Lindemann et Peter Tägtgren s'associaient pour sortir un premier album ensemble sous le nom de LINDEMANN. La chose a fait grand bruit, mais les deux zozos récitaient leurs partitions sans vraiment sortir de leurs zones de confort respectives et Skills in Pills ressemblait plus à un mélange de PAIN et RAMMSTEIN sans que la rencontre n'ait vraiment lieu, si ce n'est dans la beauferie d'un humour gras aussi lassant qu'inconséquent. On ne savait pas trop quoi attendre de F & M : LINDEMANN pouvait mûrir, mais LINDEMANN pouvait aussi bien stagner.

On aurait dû leur faire un peu plus confiance : en utilisant comme fil rouge six morceaux composés pour une adaptation théâtrale de Hansel & Gretel (mais chacun dans une nouvelle version), les deux artistes donnent déjà à ce second album un fond bien plus intéressant que leur premier effort. L'étrangeté malsaine est toujours de la partie, évidemment, mais si l'humour déviant n'a pas totalement disparu on est ravis de découvrir un album qui ne parle pas que de gros nénés et de l'illustre pénis de sieur Lindemann.

Abandon, cannibalisme et conte : le terrain rappelle forcément RAMMSTEIN et le retour de Till au chant en Allemand (Skills in Pills était en Anglais) pourrait renforcer cette impression. Le choix est cependant cohérent : Hansel & Gretel n'est pas une histoire espagnole, après tout. Le début de l'album sur Steh Auf fait cependant naître une autre inquiétude: celle d'avoir un nouvel album de PAIN avec le chant de Till. Le morceau est efficace, le chant rugueux prend aux tripes, l'énergie fonctionne bien mais nos craintes ne sont pas encore dissipées : les synthés, les chœurs et même le son de guitare renvoient de façon criante au travail de Tägtgren, bien que quelques riffs pachydermiques s'en éloignent. 

Si F & M regorge de hits en puissance, son intérêt est peut-être ailleurs. Après un début d'album faisant office de retrouvailles efficaces, Blut est le morceau qui chamboule tout. Noire et puissante, portée par un Till menaçant et majestueux qui laisse sa voix prendre de si belles aspérités, elle est l'uppercut qui apporte une puissance émotionnelle que l'on n'attendait pas chez LINDEMANN. L'état de choc se prolonge avec Knebel (son clip, en version non censurée, n'est d'ailleurs pas à mettre devant tous les yeux) : Till pose des mots allemands sur l'air de When Johnny Comes Marching Home, hymne datant de la Guerre de Sécession sur lequel Johnny Cash chantait aussi Ghostriders in the Sky, accompagné d'une simple guitare acoustique. La beauté dans la simplicité. Puis tout bascule sans prévenir dans une dernière partie agressive et brutale où le chanteur s'époumone comme rarement. C'est fou et sauvage.

F & M, est fort de cette théâtralité, ces accents orchestraux, cette émotion qui jaillit.  C'est aussi un album varié : si l'on pouvait trouver que les deux compères étaient un peu frileux et avaient du mal à se remettre en question, là, ils nous sortent carrément un tango génial (Ach so Gern, dont l'édition deluxe propose aussi une version radicalement différente) et s'embarquent dans des élans symphoniques avec Till en conteur à l'expressivité du meilleur effet (Schlaf Ein, Wer Weiß das Schon)). Les synthés ne sont pas en reste et l'électronique prend les devants sur Gummi, au final à nouveau déchaîné, Platz Eins et ses airs festifs plus inquiétants qu'autre chose ou Mathematik, présente sur l'édition deluxe, dans une version trip hop hantée différente du clip découvert il y a quelques mois où Till s'essayait au rap.

Alors qu'il était difficile de trouver un intérêt durable à Skills in Pills, le constat est tout autre avec ce deuxième album de LINDEMANN. Les deux compères se sont enfin bousculés et sortent de leur routine, tout en trouvant la bonne recette pour associer leurs personnalités artistiques fortes. En plus de ça, ils ont pris le temps de donner à F & M une cohérence narrative, un corps qui rend l'oeuvre autrement plus marquante qu'une succession de singles interchangeables. On peut toujours regretter de ne pas entendre Tägtgren donner un peu de voix, mais l'ampleur prise est remarquable, LINDEMANN s'est étoffé, a gagné en crédibilité et s'est forgé une réelle identité. Les taquins ajouteront qu'on en oublierait le dernier album de RAMMSTEIN dont on ne se souvenait de toute façon déjà plus.