Le retour de Jesus on Extasy n'a pas été une mince affaire. Après avoir quitté le groupe en 2011, le chanteur Dorian Deveraux laissait son frère Chai seul aux commandes d'un projet qui disparaissait finalement en 2014... Pour de bon ? On retrouvait alors la trace de Dorian en 2020 à la tête de FTANNG (chronique) mais, surtout, Jesus On Extasy aurait dû ouvrir pour KMFDM en 2022, annonçant une reprise imminente de leurs activités ! Sauf qu'entre temps, une pandémie a provoqué l'annulation de la tournée et repoussé un comeback que l'on se remettait à espérer courant 2023 avec la parution du single Wide Awake... Il aura finalement encore fallu patienter pour que Jesus on Extasy, désormais mené par Dorian sans son frangin, ne sorte enfin Between Despair and Disbelief. Il aura "juste" fallu quelques événements traumatiques (rupture douloureuse, pandémie, etc) pour se remettre sur les rails !
Étant donné le contexte entourant la sortie de ce nouvel album, on ne sera alors pas surpris d'une approche plus dure de la part du groupe de rock industriel. Ghosts plante un décor pourtant tout en retenue : mélancolique introduction qui laisse planer de menaçants nuages sans totalement les laisser exploser, ce premier titre nous plonge dans un monde en train de s'effondrer, une apocalypse intime à laquelle Dorian Deveraux prête son chant sensible et sincère, là où la scène rock et metal industriel allemande a souvent tendance à surjouer les voix graves et martiales ou les excès de théâtralité. Ici, tout est dans la nuance, entre groove vénéneux et tourments disséqués par les machines.
La comparaison ne saurait attendre plus longtemps : évidemment, Jesus on Extasy a écouté Nine Inch Nails : si vous avez écouté ne serait-ce qu'une fois le morceau Suck, vous savez alors d'où vient leur nom... et même l'artwork de Between Despair and Disbelief renoue avec les pochettes aux mystérieuses textures abstraites évocatrices de ruines insalubres du groupe de Trent Reznor ! Cela se retrouve dans la musique, ce ton écorché, les émotions à vif, un accent mis sur l'organique et le personnel alors que les guitares mordantes sont accompagnées de synthés plus froids et modernes. Jesus on Extasy a gagné en intensité mais est aussi dansant, associant des références 90's évidentes (on devine aussi parfois l'ombre de Marilyn Manson dans le chant de Days Gone By ou de la lugubre A Hard Goodbye, par exemple, au piano fantomatique et à l’atmosphère délectable) à une approche frontale accrocheuse plus moderne. Si cet album est hanté par une âme tourmentée, il n'en est pas moins une succession de titres à l'efficacité immédiate.
Au fil de l'album, Jesus On Extasy semble jouer avec nos nerfs, titillant régulièrement le désespoir pour, finalement, ménager quelques explosions de rage cathartiques. Quand elles surviennent, avec les refrains rentre-dedans des singles Soul Crusher ou Somewhat Happy et sa batterie de fin du monde, le groupe présente un visage d'une méchanceté inédite : on a dansé, on s'est lamentés dans notre coin, mais là, on se fait casser les dents. Chaque passage fonctionne d'autant mieux que Jesus On Extasy varie les plaisirs et ménage des respirations au sein de ses morceaux, à l'image de Something Far Away, dont la noirceur feutrée explose en un refrain porteur d'espoir aux accents pops doux-amer.
Dans ce mélange à fleur de peau entre complaintes introspectives, électronique spectrale et assauts de riffs sans pitié, Jesus On Extasy nous rappelle parfois le travail du frenchy Kloahk, un autre héritier de Reznor, Numan et compagnie, qui maîtrise également cette rencontre bien particulière entre poésie intime, et formules irrésistibles. Les machines sont au service des émotions, l'esprit s'imposant à la mécanique. A ce titre, la conclusion de l'album, Will It Ever Stop, en est une synthèse magistrale qui semble à nouveau lorgner du côté de NIN et The Background World, le meilleur morceau composé par Reznor ces vingt dernières années, pour offrir à Between Despair and Desbelief un final en apothéose, tourbillon de textures et d'émotions.
Jesus on Extasy réussit à nous maintenir sur un fil permanent, instaurant une tension de chaque instant, une menace constante aux énergies fluctuantes. C'est aussi un disque pour se faire du bien en se faisant du mal, rouvrir de vieilles plaies pas encore cicatrisées et se laisser emporter par ses pulsions destructrices. On y danse nos échecs, notre vanité et notre fin inéluctable. Ce n'est pas pour rien si le morceau qui donne son titre à l'album sert d'introduction à The End of Everything, autre refrain imparable et un solo surprenant qui vient mourir dans les murmures à la fois séduisants et angoissants de Deveraux : le monde touche à sa fin mais voyons alors ce retour à point nommé de Jesus On Extasy comme un effet secondaire positif... à moins qu'il ne faille renverser le lien de causalité entre les deux, allez savoir !