HEALTH est partout : de la scène, où l'on croise le trio californien régulièrement histoire de constater que les scènes sont de plus en plus larges, aux réseaux sociaux qu'ils inondent avec leur communication maline faite de complicité avec leur public, d'humour noir dissimulant une réelle bienveillance et de références geek. Mais surtout, HEALTH n'est jamais loin de nos enceintes : il y a toujours un remix, un featuring, un single, bref, un truc pour retrouver leurs textures typiques, leur spleen accablant et leurs rythmiques accrocheuses. Deux ans presque jour pour jour après RAT WARS, voici leur nouvel album, CONFLICT DLC. Bien sûr, tout s'écrit en majuscule et la chose sort un jeudi. Feliz Jueves, comme ils disent !
Le titre de CONFLICT DLC en dit long : en reprenant à l'univers du jeu vidéo la notion de "downloadable content" (contenu téléchargeable), HEALTH semble déjà nous prévenir que ce nouvel album peut-être vu comme un add-on de RAT WARS. Il n'y a, en effet, aucune révolution à attendre. Le trio trône sur ses acquis solides, excellant toujours autant dans son mélange de mélancolie, de douceurs pop, de gros riffs énervés et d'expérimentations electro / industrielles. Loin des albums bruitistes des débuts, HEALTH est devenu un monstre qui réussit à s'adapter au monde tout en gardant ses aspérités et sa personnalité.
"Into dirt, into dust, It's an ordinary loss, Everyone that you love, They're here and then they're gone, And I'm the same" : le ton est donné dès les premiers mots d'ORDINARY LOSS, hymne dépressif irrésistible. CONFLICT DLC est un album hanté par la mort, omniprésente, inéluctable. Mais HEALTH l'aborde avec une simplicité désarmante : pas de grandes images romantiques, pas d'héroïsme. Juste le néant, la tristesse, la solitude, la peur. Cette approche radicale surfe habilement sur un troisième degré toujours aussi réjouissant : c'est évidemment tout à fait sincère mais avec une dose de conscience et d'auto-dérision qui donne aux refrains entraînants tout leur décalage. HEALTH, dans son désespoir le plus absolu, offre un refuge paradoxalement réconfortant : venez, on va se donner la main pour mourir seuls tous ensemble. On y trouve, étrangement, comme une lueur d'espoir.
Les rengaines faciles à mémoriser mutent en assauts brutaux quand les machines prennent le dessus, que l'apathie de Jake Duzsik laisse place aux hurlements distordus et que les guitares vont piquer au thrash metal son agressivité. On connaît la recette, elle marche à chaque fois. HEALTH enchaîne les tubes de trois minutes, formatés selon des règles qui leur appartiennent. Dans l'intensité cyberpunk de TRASH DECADE aux sucreries macabres de YOU DIED (les joueurs de Dark Souls apprécieront le clin d’œil), HEALTH jongle habilement entre ses pulsions les plus sauvages, ses envies les plus bizarres, et un enrobage pop, accessible, lisse en apparence.
On s'amuse donc beaucoup avec ce CONFLICT DLC, dont les moments les plus hargneux sont peut-être plus colériques que par le passé : il y a des passages martiaux bien bourrins pour pogoter comme des australopithèques et célébrer notre trépas, initié dès le jour de notre naissance (SHRED ENVY), des crises de panique comme on aime (BURN THE CANDLES), des moments de grâce contemplatives qui nous font regretter que HEALTH ne nous laisse pas plus le temps de respire (TORTURE II, suite de leur morceau présent sur la bande originale de Max Payne 3, ou le final lugubre de WASTED YEARS). Cette fois-ci, plus que les tubes méchants et rentre-dedans, on les préfère peut-être quand tout le poids de l'existence essaye d'écraser les spectres contenus par le chant de Duzsik : DARKAGE avec sa guitare privée de distorsion qui essaye de survivre au milieu des machines, petite touche organique qui rappelle à quel point Nine Inch Nails fait partie de l'ADN de HEALTH, ou DON'T KILL YOURSELF, dépouillée de son ironie, sont particulièrement touchantes.
En fait, HEALTH nous apparaît plus que jamais en phase avec son époque. Sur le fond, il y a cette déprime et ses questionnements existentiels formulés sans détour, sans nombrilisme complaisant ni formule pompeuse et que l'on balaye d'une danse ou d'une punchline ironique, le néant de nos existences absorbés par un scrolling infini, échappatoire comme un autre à la solitude et l'apocalypse qui est sur nous (ce qu'explicite par exemple THOUGHT LEADER). Puis, sur la forme, il y a ce talent pour s'affranchir des questions de genre, de tout mélanger et de proposer quelque chose d'à la fois avant-gardiste et taillé pour plaire, d'associer des passages atmosphériques particulièrement convaincants à des riffs qui mordent fort et des beats qui castagnent. En cela, HEALTH est toujours aussi fascinant car sa pertinence musicale et thématique fait de sa proposition du metal industriel quelque chose d'à la fois frais, contemporain, mais aussi conscient et respectueux de son héritage.
CONFLICT DLC est un complément de son prédécesseur, la deuxième face d'une même pièce, un album jumeau... Ou une redite. Si HEALTH continue de peaufiner sa formule album après album, on n'échappe pas non plus à une certaine impression de nous être déjà noyés dans ses eaux tourmentées. Si vous n'aimiez pas HEALTH avant, ça ne changera pas. Il nous reste cependant un ensemble toujours aussi atypique, qui réussit à être l'écho des angoisses et désespoirs actuels, à emballer le sinistre d'un packaging ludique et festif. HEALTH stagne peut-être mais se maintient surtout en un équilibre stylistique et tonal gracieux et attachant, à la fois unique, atypique, intime et pourtant propre à séduire les masses, un truc déviant, fou, et pourtant consensuel. HEALTH, c'est ce grand frère qui a réussi à être le gosse populaire et cool du bahut tout en nous initiant aux choses obscures et bizarres et qui nous dit avec tendresse que tout va mal, que ça ne va faire qu'empirer, qu'on est foutus, qu'on ne trouvera jamais notre place, mais que ce n'est pas grave, c'est ok, de toute façon, dans la vie, de la place, il n'y en a pour personne. Alors autant rester debout, c'est plus pratique pour remuer nos popotins.