Chronique | ΔLLICΘRN - Cult of the Horse

Pierre Sopor 24 février 2024

A l'image de nombreux artistes de la scène witch-house, il n'est pas facile de retracer le parcours d'ΔLLICΘRN (il faudrait déjà trouver la touche "Δ" sur son clavier). Son existence en ligne se limite à ce que le label laisse filtrer (une origine britannique et c'est à peu près tout) ou ce qu'on peut trouver d'une discographie entamée en 2012 avec At the Mountain of Madness, un des albums orchestraux mettant en musique Lovecraft sorti par l'artiste et qui était encore loin des cauchemars électroniques actuels. Ce mystère et cet anonymat colle bien avec l'esprit : fantôme numérique, ΔLLICΘRN revient nous hanter avec des sorties fréquentes. Elle enchaîne les albums et les EPs et le dernier en date, Cult of the Horse, vient de paraître via Untitled Burial.

Passion équitation ? ΔLLICΘRN avait déjà sorti A Pale Horse en 2021 mais, évidemment, ce cheval pâle était un présage bien plus sinistre qu'une odeur de crottin dans la paille. Cette fois-ci, l'album s'inspire des mythologies celtes et nordiques afin d'instaurer une ambiance mystique. Ça fonctionne d'emblée, les cordes hypnotiques samplées en intro de Haunted by my Former Selves étouffées par des basses saturées et cette mélodie stridente et lugubre qui suit nous plongent dans l'univers occulte de l'album.

ΔLLICΘRN s'empare des codes de la witch-house pour en garder ce que l'on préfère : une pesanteur funèbre, des sonorités distordues et spectrales, des rythmiques empruntées à la trap et un parfum à la fois macabre et ésotérique, oppressant et mystérieux qui n'est pas dénué d'une certaine poésie à la Noire Antidote. C'est quand on passe de monolithes de noirceur à des étangs glacés de ténèbres synthétiques que l'on préfère ΔLLICΘRN. On note d'ailleurs que l'absence de chant (ce qui n'est pas le cas dans toutes ses sorties) permet non seulement de laisser plus de place aux mélodies, soutenues par quelques instruments traditionnels qui participent au climat rituel, mais aussi d'éviter de trop alléger la tonalité morbide des morceaux.

Si en route certains titres sont un peu trop aériens et légers pour nos tristes passions, bien qu'ils gardent cette humeur affligée délectable, le pouvoir hypnotique de Detestation Rite, le désespoir anxiogène de Lost Skies, la menace sous-jacente de Cursed Incarnation ou la lenteur funèbre du morceau-titre, par exemple, nous maintiennent captifs du sortilège. On est bons pour se laisser sacrifier entre deux caillasses millénaires, par une nuit sans lune.

Bon, et les chevaux dans tout ça ? Eh bien, n'oubliez pas que "mar" de cauchemar (ou "nightmare" en anglais, "nachtmar" en allemand) renvoie à "mære" qui, en vieil anglais, désigne un esprit maléfique venant nous étouffer pendant notre sommeil et que "mare" est aussi le mot pour désigner la jument et vient, quant à lui de "mearh". Les deux n'ont beau ne pas être liés, ils ont quand même un peu la même gueule. Et allez demander à Füssli ce qu'il en pense, tiens ! Laissons de côté nos délires étymologiques : Cult of the Horse est bel et bien un album cauchemardesque, à la fois mystérieux et poétique et à l'ambiance oppressante, lugubre et poisseux de désespoir. Bref, c'est notre dada !