Après un premier gros EP / mini-album, Cycles, Absence of Colors est devenu un trio avec l'arrivée de Brice Berrerd (basse / claviers) et la formation post-metal nous propose un nouveau voyage en leur compagnie avec Poison on Your Lips, dont l'artwork respecte en tout cas le cahier des charges esthétique promis par le nom du groupe ! Du post-metal instrumental, ça connote bien vite le type d'univers et d'influences que l'on va côtoyer, mais les souvenirs atmosphériques et électroniques de Cycles nous laissaient aussi entrevoir des tendances moins codifiées et une variété sonore qui permet à Absence of Colors d'affirmer son identité.
D'ailleurs, l'entrée en matière de l'album est une belle preuve de cette envie de surprendre, de ne pas se reposer sur des formules prévisibles : là où le genre exige souvent des constructions en crescendo, Ignorance is Strength attaque d'emblée avec un groove accrocheur et une lourdeur menaçante. Dans le fond, on devine de très discrètes nuisances synthétiques industrielles qui non seulement donnent aux habituelles esthétiques incantatoires de ces boucles une touche futuriste mais également au son une ampleur qui, immédiatement, capte l'attention. A la manière de Russian Circles, inspiration revendiquée, Absence of Colors est immersif et nous embarque pour une traversée houleuse faite d'émotions qui gonflent et explosent.
Ce premier album contient son lot de mystères, à l'image de ceux évoqués par la guitare de The Hidden Giant et que l'on cherche à percer comme on traverse un épais brouillard. Pas de couleurs, peut-être, mais un sacré travail de nuances : les rêveries plus aériennes hallucinées s'étoffent et nous attirent vers des séismes rugueux. Poison on Your Lips est moins contemplatif et mélancolique que Cycles, plus intense aussi. Cela ne nous prive pas de parties introspectives, mais le propos s'est manifestement densifié, Absence of Colors a gagné en mordant et en pesanteur. Le jeu de basse, tout en rondeurs mystiques Tooliennes, vient contraster avec la batterie froide, mécanique et impitoyable de Fury Room. On frôle le mantra, on frôle l'industriel, mais Absence of Colors navigue entre tout cela sans ne jamais grossièrement singer les gimmicks des autres.
Toujours ces pulsations électroniques discrètes, quelques samples vocaux : Death from Above, avec son début angoissé et ses dix minutes de tempêtes contenues, d'évocations poétiques, d'errances introspectives, est une pièce épique à la fois aventureuse et funèbre et l'illustration parfaite de l'ambition d'Absence of Colors. Il y a quelque chose de narratif qui se dégage de leurs compositions, les morceaux vivent leur vie propre et pourraient se découper en chapitres. Alors que la pesanteur de Perfect Storm et son tourbillon d'images créées par la musique conclue le voyage sur une nappe qui traine comme un fantôme qui refuserait de quitter le monde, on apprécie alors une dernière fois l'équilibre trouvé par Absence of Colors. Les règles du jeu sont respectées mais le groupe fait preuve d'inventivité pour insuffler son âme au carcan du genre : il y a là-dedans de beaux contrastes, que ce soit au niveau des textures ou des émotions, et une vraie maîtrise du dosage. C'est un album qui se suit comme un récit haletant, à cheval entre les univers et les humeurs. Pas de couleurs, mais bel et bien des nuances !