Chronique | 2nd Face - utOpium

Pierre Sopor 17 mai 2023

Vincent Uhlig, alias Thorn, sortait le premier album de 2nd Face Nemesis en 2017 et surprenait les amateurs de musique industrielle grâce à la qualité de ses productions, subtile alliance d'influences old-school et modernes. Les attentes étaient hautes pour son second opus, utOpium, qui est présenté comme une plongée dans l'esprit humain, un voyage philosophique vers la prise de conscience de soi, un miroir tendu à notre société qui se fragmente tout en optant collectivement pour une auto-hypnose sociale face au changement climatique et à la guerre. De quoi enrichir les recherches sonores d'un travail sur le fond, évidemment peu optimiste.

Ce qui séduit d'emblée chez 2nd Face, c'est la richesse du son, sa profondeur. Subtil, agressif, riche, varié et limpide, la musique emplit l'espace et enrobe l'auditeur pour le transporter immédiatement dans l'univers de l'artiste. On y apprécie ce mélanges d'influences EBM et industrielles, quelque part entre Frontline Assembly pour l'ambiance cybernétique et Skinny Puppy pour l'empilement de couches et les rythmiques psychédéliques (mais aussi pour l'usage peu conventionnel des majuscules !). 2nd Face y ajoute sa sensibilité pour les mélodies vectrices d'émotions mais surtout des constructions alambiquées et une modernité dans le son, une agressivité accrocheuse, sans perdre de vue le travail sur les textures et les expériences synthétiques qui sortent des sentiers battus de l'electro dark (on dit que les chats ne font pas des chiens : l'artiste a pour papa Wolf-Rüdiger Uhlig des groupes de krautrock Murphy Blend et Hanuman)). 

En effet, aucun titre ne se révèle à nous sans emprunter auparavant quelques tortueux chemins. Les morceaux dépassent atteignent régulièrement sept minutes et se construisent petit à petit, des circonvolutions qui garantissent une écoute aussi riche que passionnante. Grâce à ce côté rentre-dedans et la qualité de la production, 2nd Face peut se permettre le luxe de prendre le temps, d'ajouter ses touches petit à petit : nous sommes déjà accrochés. On ne s'y ennuie jamais, l'intensité monte, les rythmes se brisent pour mieux nous surprendre au fur et à mesure que les titres prennent forme, mutent et nous trimballent de gauche à droite, à l'image de l'épique formula Extinction. On comprend mieux la description de sa musique par l'artiste : de l'indus progressif... Au point que le label ajoute Tool au rang des influences.

Se perdre dans utOpium est un réel plaisir : les amateurs d'immédiateté y trouveront de quoi se trémousser dans les ténèbres de leurs bunkers grâce à cette efficacité omniprésente (Momentum, Vox Irae, Underneath the Silence) mais on y goûtera aussi la poisse malsaine, l'expérimental, l'étrange, l'inattendu et l'inconfortable (Mydriasis, aether) ainsi que la mélancolie (life(l)over). Avec son second album, 2nd Face non seulement confirme tous les espoirs suscités par ses premiers pas mais nous offre une petite merveille electro / indus singulière à écouter impérativement.