Motocultor : entretien avec Yann Le Baraillec, fondateur du festival

Motocultor : entretien avec Yann Le Baraillec, fondateur du festival

Pierre Sopor 18 mai 2023 Pierre Sopor & Maxine

Cette année, le Motocultor Festival se déroulera pour la première fois à Carhaix, sur le site des Vieilles Charrues, avec une affiche toujours plus ambitieuse et variée. Pourtant, malgré la qualité de la programmation et l'aura de l'événement, le Motoc a su garder une dimension humaine : il suffit de voir comment le festival se retrouve obligé de changer de lieu régulièrement. Son fondateur Yann Le Baraillec a discuté avec nous de l'édition à venir lors d'une journée promo organisée par NRV Promotion. Il y aborde justement ce déménagement ou la programmation avec une personnalité qui laisse transparaître l'âme de son festival : avec passion, humilité, sincérité et générosité.

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Ces dernières années, entre la pandémie et ce changement de site pas forcément souhaité, as-tu eu l'impression d'être maudit ? As-tu eu peur à un moment que ça soit la fin du festival ?
Je n'ai jamais eu peur, ni quoi que ce soit. De toute façon, pour le covid, c'était pareil pour tout le monde... Le changement de site n'était pas vraiment une nouvelle pour nous car il y avait des désaccords existants depuis 2019 avec la mairie de Saint-Nolff. On avait pu s'arranger avec eux pour que les éditions de 2019 et 2022 se fassent sur quatre jours mais on attendait qu'ils se positionnent définitivement sur ce qui se passerait par la suite. Il devait y avoir un vote et comme on démarche assez tôt des groupes pour les quatre jours, on avait besoin de savoir si on devait chercher ailleurs, en gros. Au final on nous a dit "il n'y aura pas de vote et le non l'emporterait"... Ah, d'accord ! Là, j'ai dû réfléchir plusieurs semaines parce que ce gros changement se concrétisait. Ils ont confirmé en juillet dernier que le festival devrait revenir sur trois jours sans nous donner aucune raison... Nous, on sait que ça ne gênait pas les riverains, c'est même plutôt un plus pour les commerçants cette journée de plus et pour nous, en terme d'organisation, ce n'était aussi que du positif. En plus, c'est devenu la nouvelle norme des festivals, surtout en metal. Revenir en arrière nous aurait mis des bâtons dans les roues pour plein de raisons et notamment par rapport aux autres événements du même genre, ce qui était impossible pour nous. On a donc dû chercher un nouveau site, ce qui n'était pas vraiment une nouvelle, mais on ne pouvait pas non plus chercher sérieusement tant que ce n'était pas acté que l'on devait quitter Saint-Nolff. Avec ce courrier, j'ai pu me dire "ah mince, voilà, c'est le moment de partir, fait chier !". Quand on allait voir les gens déjà il y a trois ans, les maires étaient plutôt réticents parce que pour eux on était encore à Saint-Nolff, on avait donc besoin que ça soit couché par écrit...

Mais maintenant, es-tu content de ce changement ?
Maintenant qu'on a tourné la page, oui. Il fallait espérer que les planètes s'alignent, et pour trouver un terrain qui soit adapté en Bretagne, il n'y avait pas cinquante possibilités... Il y a le terrain des Vieilles Charrues, mais le maire de Carhaix nous avait déjà dit non il y a trois ans. Cela dit, on nous avait dit non cinq fois pour Saint-Nolff avant d'être finalement acceptés, donc pour moi une réponse négative n'est jamais définitive ! On arrive souvent à transformer la réponse négative en positive, ça ne me désespère pas quand on me dit non. On a donc redemandé pour ce terrain et je savais que la réponse serait expéditive, dans un sens ou dans l'autre. C'est un maire qui sait ce que c'est d'accueillir un festival et qui a une expérience qui fait qu'il comprend quels sont les enjeux... Je me disais aussi qu'un mois après les Vieilles Charrues, en août, il ne se passe rien et ça peut être bien pour la commune de Carhaix aussi. Cette fois, il a rapidement répondu qu'il était intéressé, suivi de "je passe vous voir". Là, on s'est dit que si ça passait c'était cool et sinon il aurait fallu chercher un autre terrain et ça nous aurait peut-être poussé à faire l'impasse sur cette édition... La mairie est venue sur le site, ils ont bien aimé l'ambiance, ils ont discuté avec les bénévoles, les chefs de poste, les salariés... ils ont jaugé l'ambiance tout un après-midi et quand je les ai rencontrés en fin de journée, au bout de cinq minutes on était autour d'une bière et ils ont dit "la porte est grande ouverte pour vous si vous voulez venir à Carhaix l'an prochain" ! Là, j'ai enfin respiré ! Ouf, c'est bon, on peut continuer, parce que ce n'était pas sûr ! Le déménagement se passe très, très bien, je pense qu'ailleurs on aurait dû attendre le mois de mars pour avoir une réponse définitive, et en plus le terrain est déjà adapté. Les Vieilles Charrues ont aussi créé une vraie dynamique sur ce territoire, il y a des gens qui sont formés, qui savent ce que c'est d'être bénévole sur quatre jours, les entreprises du Finistère sont demandeuses : on reçoit des propositions sans qu'on ait besoin de les contacter... Donc oui, on est assez bien, et ça c'est cool !

© Photo Ouest France

Qu'est ce que ce nouveau site va changer pour vous ou les festivaliers ?
On fait en sorte que ça ressemble le plus possible à ce que les gens connaissaient... Alors évidemment, ce n'est plus la même destination ni les mêmes transports... Il y a une gare à Carhaix donc ça c'est plutôt pratique. Globalement, on a essayé de garder l'esprit de ce qu'on faisait à Saint-Nolff : avoir un site compact avec les parkings et campings le plus proches possible. On a gardé les avantages de l'ancien site pour ne pas changer les habitudes des festivaliers. On attend d'entendre les retours des gens mais je pense que c'est le plus proche possible.

Avec ce nouveau site ou le passage l'an dernier à quatre scènes, le Motocultor grandit toujours... Te mets-tu des limites en terme d'ampleur que pourrait prendre l'événement ?
Pour nous, prendre plus d'ampleur, ça serait déjà être complet plus rapidement avant de grandir en terme de jauge. Si un jour on peut être complet deux ou trois mois avant et figer un modèle économique là-dessus, ça serait déjà bien ! On se fait une jauge à 15000 personnes et je pense que ça restera autour de ce chiffre là. Accueillir plus de gens impliquerait aussi de totalement tout réorganiser. C'est vrai que sur le site des Vieilles Charrues on pourrait faire un festival beaucoup plus gros dans l'absolu, mais ça n'aurait pas de sens : on voit déjà bien qu'avec la programmation de fou qu'on a, il n'y a pas forcément beaucoup plus de monde qui vient. Ça ne sert à rien d'essayer de devenir un deuxième Hellfest, il n'y a pas la place pour en faire un autre. On l'a bien vu avec leur double édition : derrière, nous on a bien ramé. Je pense donc qu'on ferait mieux de viser le complet avec notre jauge de 15000 pour les prochaines éditions que de chercher à devenir beaucoup plus gros. Je préfère travailler sur plein d'autres projets le reste de l'année.

On parlait dimensions de festivals et tout ça, mais finalement, quand on s'appelle le Motocultor Festival, ne doit-on pas garder un petit côté roots ? Les gens ne viennent pas en s'attendant à avoir des roulottes de luxe hors de prix ou ce genre de choses, si ?
Eh bien je ne dis pas qu'un jour on ne fera pas ça... parce que le public vieillit ! On risque d'avoir du mal à le renouveler. On va essayer mais si on n'y arrive pas, à un moment donné, il va falloir proposer des solutions pour que les gens continuent à venir. On avait essayé vers 2014 de proposer des chalets avec des lits... Il y a peut-être des trucs abordables qu'on pourrait trouver, je sais qu'il y a des choses à imaginer.

L'affiche est à nouveau très fournie et variée. Quel rôle as-tu dans la programmation ?
Il y a pas mal de groupes qu'on a déjà invités. Jusqu'à 2018, je faisais la programmation tout seul mais depuis le festival a fortement grandi. Comme je m'occupais de ça depuis 2007, j'ai un peu lâché cette partie là et maintenant on est trois et on valide nos choix stratégiques et tout ça en réunion. J'ai délégué toute cette partie sur les négociations et je garde le dernier mot sur la direction, ce que l'on fait, ce que l'on ne fait pas, si on lâche l'affaire sur une négo ou si au contraire on y va.

As-tu une fierté particulière sur l'affiche de cette année ?
Ah, il y a Wardruna, on a tellement galéré à les avoir ! On essayait depuis 2014 et à chaque fois ça ne marchait pas niveau planning, ou les offres n'étaient pas suffisantes ou je ne sais quoi... Je sais que ça peut avoir l'air facile d'avoir Wardruna parce qu'ils sont tous les deux ans au Hellfest, mais ce n'est pas si facile ! Ils ont le choix, quoi : ils veulent juste faire quelques dates, donc ils choisissent. On a réussi à les avoir cette fois. En espérant qu'après on arrive à les faire revenir tous les trois ou quatre ans... ou pas, il y a aussi plein d'autres choses à faire. Au moins, on les aura faits une fois... si tout se passe bien d'ici cet été  !

L'affiche propose aussi des genres très variés. Par exemple cette année, vous avez Ic3peak, Little Big, Scarlxrd qui ne sont pas forcément des groupes de metal à proprement parler. As-tu une envie d'ouvrir le public à d'autres horizons ?
Ah oui, Ic3peak... ils sont très engagés contre le totalitarisme, je ne sais même pas s'ils vivent encore en Russie... Il y a toujours eu depuis le début cette envie d'ouverture, mais c'est vrai que là, le fait d'avoir quatre jours et quatre scènes, ça permet de le faire à une échelle plus importante tout en gardant la même quantité de groupes dans le noyau dur qui fait l'âme du festival. Sans enlever ce cœur, on élargit à côté sans rogner sur le metal extrême, que ce soit en quantité ou en qualité. En tout cas, c'est l'idée. Du coup, ça nous permet d'essayer d'autres choses. J'ai des goûts très éclectiques : au-delà du metal, on va vers du rock, du punk, etc. On le faisait déjà dans les toutes premières éditions, même si c'était plutôt des groupes locaux, c'était déjà très ouvert. Maintenant, l'ouverture se fait parfois sur des groupes très connus et donc même si ça change l'envergure de cette ouverture, on est dans la suite logique de ce que l'on fait depuis toujours. La différence, c'est que maintenant on peut se permettre d'y aller plus franchement. On peut mettre plus de punk, plus de stoner, on met aussi un petit plus de metalcore, de post-rock... Là on en a pas mal, alors qu'il n'y avait pas trop la place avant.

Entre Little Big, Henri Dès ou le spectacle musical Excalibur, est-ce qu'au moment de composer l'affiche, on se dit à un moment "tiens, proposons un truc qu'on ne voit pas dans un festival metal parce que les gens ont aussi peut-être envie de souffler, de légèreté" ?
Oui, c'est un peu ce qu'on essaye de faire. Little Big, c'était hyper dark avant. Ça l'est un petit peu moins maintenant mais ça reste dans l'esprit. En 2015, ça avait fait un carton quand on les avait programmés ! Je me rappelle, l'année d'avant, j'avais dit non, je n'avais pas osé ! En 2015, j'ai cédé mais je les ai mis l'après-midi : je n'osais qu'à moitié ! Sauf qu'on a eu un changement de running order et du coup on a collé Little Big vers 23h / minuit parce que c'étaient les seuls qui voulaient bien bouger leur créneau. J'ai regardé leurs clips et quelques lives et me suis dit qu'on allait tenter ça jusqu'au bout, ça m'a décomplexé. Ça m'apprendra à y aller avec le frein à main ! Mais c'était marrant, sur le moment on avait l'impression d'avoir un public un peu bipolaire : les gens ont passé le week-end à écouter du metal et tout à coup, pendant une heure, ils étaient en mode club ! On doit proposer des choses différentes du Hellfest ou d'autres événements et s'ouvrir plus.

Il reste encore quelques noms à annoncer. Si on ne les connaît pas déjà, c'est pour un effet de communication, ou c'est pour des histoires de contrats pas encore bouclés ?
Ouais, c'est des histoires de contrat. Si on pouvait tout annoncer fin mars, on le ferait !

Il reste des gros noms ?
Hmmm... Il y en a quelques uns. Pour être le plus transparent possible, il y a des offres en ce moment et si ça n'aboutit pas, ce n'est pas grave. Dans tous les cas, on fera la dernière annonce dans le courant de la semaine prochaine. On fera avec ce qu'on a, qui est très bien déjà !

Tu disais avoir mis plusieurs années à faire venir Wardruna. Qui d'autre rêverais-tu d'avoir ?
Tous ceux qu'on n'a pas eus ! Il y a Heilung, avec qui ça ne s'est finalement pas fait l'an dernier... Ils devaient venir en 2020 mais on n'a pas pu les reporter sur 2022 et là on sait qu'on ne pourra pas les avoir avant quelques années... ça sera peut-être plus tard.

Quand on compare avec de très gros festivals, vous avez finalement peu de "papis", même s'il y en a eu. Est-ce un choix d'être tourné vers l'avenir, ou plus parce que les groupes avec plus de quarante ans de carrière sont souvent trop chers ?
On essaye déjà d'avoir une affiche cohérente... Je ne m'interdis pas de faire quelques "groupes de vieux" mais ce n'est pas la priorité. Si un jour on a l'occasion d'avoir Deep Purple ou Scorpions, c'est quand même légendaire ! Je ne cracherais pas dessus. Ou Mötley Crue ? Je ne sais pas, c'est peut-être trop axé Hellfest... Après, au niveau du budget, c'est sûr qu'on ne peut pas. Mais bon, il y a des groupes bien plus récents qu'on ne peut déjà pas se payer ! 

J'imagine que depuis la première édition, tu as beaucoup appris. As-tu une anecdote de petit couac d'organisation dû à l'inexpérience que tu peux nous raconter ?
En 2010, pour notre première édition en plein air, on s'y est pris beaucoup trop tard : on a commencé à organiser le truc en avril ! C'était de la folie. On avait perdu quatre ou cinq mois à attendre de savoir sur quels terrains on pourrait faire le festival... Parce que déjà à l'époque, la commune ne voulait finalement plus de nous là où on aurait dû le faire à l'époque, il a donc fallu trouver d'autres idées, attendre les autorisations et tout. On aurait mieux fait de faire l'impasse sur cette édition, plutôt que de s'y mettre aussi tard... en même temps, si on s'y était pris plus tôt, peut-être que ça n'aurait pas suivi. Comme tout s'est enchaîné très vite, tout le monde a suivi alors que les gens étaient plutôt réticents à la base. En faisant la programmation, je contactais des agents qui me disaient "désolé, on n'a aucun groupe dispo à ces dates" et une fois que je leur disais les premiers noms confirmés, comme Madball, ça a fait boule de neige. Deux jours après les agents finalement nous trouvaient des trucs et d'un coup, on a eu Loudblast, Sodom, Destruction... fin mai, je me disais déjà "putain, ça commence à avoir une bonne gueule !". Ça restait vraiment trop court pour tout organiser, mais j'ai appris énormément en très peu de temps, j'ai vu que je pouvais être capable de gérer dans ces conditions.

Depuis plusieurs années, il est de plus en plus question de prendre en compte des problématiques environnementales sur des festivals. Comment est-ce possible sur un événement de la taille du Motoc ?
Nous, naturellement, on essaye de limiter le plastique autant que possible, ce genre de choses, ou le tri des déchets qui est vraiment le minimum qu'on puisse faire. On a de bonnes équipes qui trient derrière, après les festivaliers, on re-trie tout tôt le matin, même si c'est vrai que sur la toute fin du nettoyage du site, avant de s'en aller, on n'a plus le temps de faire ça aussi bien... Je sais que si on regarde les pourcentages, sur le tri on est bons. Malheureusement, pour le bilan carbone ça reste compliqué dès que tu fais venir des groupes internationaux. Et regarde les parkings : il y a très peu de festivaliers qui viennent autrement qu'en voiture. Sur notre consommation de fuel, que ce soit à Saint-Nolff ou à Carhaix, on a ce qu'il faut en transformateurs électriques, ce qui permet d'en utiliser moins. Mais tu es quand même obligé de sécuriser ton système avec des groupes électrogènes au cas ou... Ça nous est arrivé une année : on a eu deux groupes électrogènes qui sont tombés en panne : le principal et celui de secours, en même temps !

Comment avez-vous fait ?
On a trouvé quelqu'un dans la nuit du 14 au 15 août qui est venu le lendemain nous remettre tout ça en place et c'était prêt à 19 heures. Pendant l'après-midi on avait de quoi avoir du son mais pas de lumière, mais ça l'a fait parce qu'en été, sur ces horaires, il n'y avait pas vraiment besoin d'éclairage ! Tu doubles pendant des années tes groupes électrogènes pour rien, mais la fois où ça sert, t'es bien content d'avoir payé pour rien toutes les autres fois ! Si tu bosses pendant un an pour tout préparer et que tout s'arrête parce que ton seul groupe électrogène tombe en rade, c'est con.

Assistes-tu à d'autres festivals en tant que public ?
J'aime bien aller au Hellfest, ça me permet de faire la promo pour mon festival mais aussi de voir les festivaliers en ayant plus le temps. J'ai plus le temps de parler avec les festivaliers du Motocultor pendant le Hellfest que pendant le Motoc ! J'aime bien aller à de petits événements parfois aussi, oui. En revanche, j'ai très peu le temps d'aller voir des concerts en salle. Là je vais aller au Kreiz Y Fest dans quelques jours, qui a une super affiche pour une première édition. J'aurais bien fait le Court of Chaos, mais je ne pouvais pas ce week-end là. J'aimerais bien avoir l'occasion d'en faire plus... Il y a aussi le Barbeuk Metal que je vais faire fin août. Je ne sais pas comment je vais réussir à faire ça. Il y a le chanteur du groupe Motocultor (qui fait des reprises de génériques de dessins animés et a donné son nom au festival, ndlr) qui joue là-bas, du coup je suis obligé d'y aller ! Le Barbeuk Metal a été créé avant le Motocultor Festival, on y avait joué en tête d'affiche avec le groupe Motocultor et c'est un peu ce petit événement là qui m'a donné envie de faire du plein air. Le gars qui organise ça avait arrêté, mais cette année il en refait un. Je crois que je vais être parrain du truc !