Une Vraie Gothique @ La Parole Errante Demain - Montreuil (93) - 28 juin 2025

Live Report | Une Vraie Gothique @ La Parole Errante Demain - Montreuil (93) - 28 juin 2025

Pierre Sopor 29 juin 2025

Alors là, difficile de savoir par où commencer pour vous raconter ce moment improbable : présenter le groupe, Une Vraie Gothique, ou le contexte ? Il y a des fois où les étoiles noires s'alignent pour nous offrir des souvenirs uniques. Imaginez un peu le tableau : une soirée d'été étouffante et ensoleillée, plein de gens souriants et normaux venus exprimer leur soutien envers La Parole Errante Demain, lieu de spectacles mais aussi de luttes et de solidarité... un groupe de musiques traditionnelles italiennes fait danser les familles venues profiter du soleil en attendant la tombola prévue pour 21h pendant que d'autres mangent un bout et papotent dans un grand jardin. C'est Montreuil, c'est vivant. Et puis, entre les danses folkloriques du Sud de l'Italie et d'autres trucs solaires et sympathiques, il y avait Une Vraie Gothique. Le duo EBM / dark electro a bien compris que souvent, les suites ne valent pas l'originale : de tous les degrés, leur préféré reste le premier. Sur la très belle scène de la Parole Errante Demain, devant une assemblée faite de chemises à fleurs, de shorts et de petits enfants, la sorcière en corpse paint Ulrika et Ferdinand et sa mine renfrognée prennent place dans la fumée. Nos petits doigts, mais aussi ceux des autres que l'on collectionne et garde au frigo, murmurent tous la même chose : ça ne devrait pas être triste. Enfin, si, ça va être très très triste.

Déjà, on est ravis de voir Une Vraie Gothique en live, parce qu'avec seulement trois morceaux trouvables sur le net, on était un peu sur notre faim. On a beau s'amuser beaucoup des paroles, véritable enchaînement de punchlines imparables, le mélange entre la tension EBM, l'intensité synth-punk, les mélodies de synthés horrifiques façon dark electro des années 2000, les guitares samplées, les touches darksynth, et les voix d'Ulrika et Ferdinand qui se répondent en Allemand et Français, Une Vraie Gothique propose un truc enthousiasmant, entre musique addictive et univers fort. Dans Metz Noire, après nous avoir appris le mot "Narthex", Ferdinand déclame : "je danse, j'oublie ces adultes de merde (...) trop belle, trop beau au milieu des corbeaux, mate mes mouvements j'suis la nuit"... avant de s'amuser d'avoir dit "un gros mot" devant un groupe de petites filles super attentives et intriguées. Comment résister ?

Le concert prend alors une dimension pédagogique ludique. Le duo explique "alors là, les enfants, on va faire de l'EBM. L'EBM, c'est une musique faite par des messieurs belges qui boivent... heu, du jus de citron. Mais nous on pense que c'est pour tout le monde. Pour faire de l'EBM, il faut mettre des lunettes noires. L'EBM, ça se danse comme ça", mouvements virils des bras, hop, boum-boum, on fait l'EBM sans oublier de rendre hommage à Douglas McCarthy. Une Vraie Gothique navigue dans les eaux opaques du 666ème degré, là où le premier et le second sont bien trop emmêlés pour qu'on les distingue. Il y a cet amour sincère et décomplexé de la noirceur la plus assumée, un truc pour les fans de The Crow et d'Anne Rice, revendiqué avec une fougue adolescente mais également le recul qu'apporte l'âge. La démarche, entre décalage absurde, naïveté revendiquée et total trve d4rkn3ss surjouée amuse mais dégage aussi une forme de poésie assez touchante alors qu'Une Vraie Gothique parle à l'ado paumé en nous qui n'arrive pas à trouver le sommeil, perdu dans nos âmes noires, qui aimerait embrasser les ténèbres mais tremble encore à cette idée. 

"Je me sens monstrueux, je prends des photos des tombes, rdv au cimetière", Ulrika incante dans la fumée, les gamins dansent devant ses mimiques possédées, leurs parents en chemises colorées s'amusent de cette initiation à la mort, à Satan, à ces histoires de veines ouvertes et de voitures démoniaques. Si Une Vraie Gothique est aussi jouissif, c'est à la fois pour l'efficacité de leur musique que pour une démarche dépourvue de moquerie, hommage sincère et bienveillant aux tourments adolescents. D'ailleurs, le duo propose un petit fanzine, Gothique Magazine, avec notamment un tuto de danse gothique et un horoscope gothique ! A la fin du concert, un type très sympa et souriant, chemise à fleurs lui aussi, vient dire "j'ai trop aimé, même si j'ai jamais été gothique. Et le lieu est très sympa, même si je ne suis pas communiste non plus". Le rouge et le noir, l'improbabilité... Une Vraie Gothique a fait rimer Montreuil avec deuil, a fait de l'ombre au soleil estival le temps d'un set et tendu une main pâle, froide et irrésistible à une assemblée hétéroclite qui ne demandait qu'à succomber à la nuit avec eux. Leur premier EP est prévu pour la fin de l'année (on vous laisse deviner la période, HEIN) : vivement ! En attendant, on rentre en ayant, contre toute attente, survécu à une soirée pleine de solidarités, de danses folkloriques et de soleil avec un baume noir sur nos cœurs flétris : ce soir, il y a des petites filles dans leurs familles de moldus qui diront, les abîmes éternelles de la mélancolie hantant déjà leurs yeux qui ont pourtant encore tant de choses à souffrir, "maman, moi aussi, plus tard je voudrais être une vraie gothique".

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe