Shaârghot : laissez-le sortir !

Shaârghot : laissez-le sortir !

Pierre Sopor 21 novembre 2023 Pierre Sopor

Depuis le temps qu'on vous le dit, cette fois, ça y est : Shaârghot est à un tournant de son histoire. La pandémie n'a été qu'un contretemps qui a permis au groupe de metal industriel d'explorer son univers autrement et, finalement, de continuer à grandir. A quelques jours de la sortie de Volume III - Let Me Out (que l'on attend pour le 1er décembre et au sujet duquel nous vous livrions notre avis), il était temps de faire le point avec Étienne Bianchi, créateur et créature d'un projet qui, au-delà de la musique, donne vie à tout un univers futuriste dystopique immersif.

L'entretien qui suit a été réalisé en deux temps : vous retrouverez la retranscription intégrale de l'échange ayant servi de base à la vidéo partagée par le groupe il y a quelques mois et que vous pouvez (re)voir ci-dessous mais également quelques impressions prises sur le vif peu de temps avant de monter sur scène à l'Elysée Montmartre, à Paris (on vous le racontait par ici), où le groupe se retrouvait seule tête d'affiche à quelques jours du concert.

Étienne revient pour nous sur la genèse de ce Volume III et l'évolution du groupe qui s'est étoffé depuis l'album précédent, avec sa franchise et sa passion habituelle, parlant des mutations de son monstre plus si petit, mais aussi de ses angoisses ou de pizzas volantes.

Comment se passe la tournée jusque là ?
Eh bien figure toi que ça se passe super bien et que contre toute attente, la tournée n'a pas été annulée après le retrait de Punish Yourself ! On s'attendait à des annulations et ça n'a pas du tout été le cas, au contraire, on a même plus de monde que ce à quoi on s'attendait. Peut-être qu'on le mérite, peut-être que c'est un coup du sort, je n'en sais rien. Alors on fait comme d'habitude : on prend les choses comme elles viennent et on s'adapte. La technique est bonne, l'accueil est bon à chaque fois... Les gens viennent vraiment pour nous voir, apparemment ! On est super surpris de la tournure que ça prend et on a l'impression d'être à un vrai tournant, chose dont je ne me rendais pas forcément compte il y a quelques mois encore. Avec la sortie des nouveaux singles notamment, on a l'impression d'une vraie "vague noire" qui est en train d'arriver et qu'on nous prend plus au sérieux dans le milieu français. On n'est plus juste une curiosité, on parle de nous de façon plus professionnelle. C'est surprenant et je suis encore en train de l'assimiler, c'est du tout frais ! Je n'ai pas encore le droit d'en parler, mais on prépare évidemment le futur proche pour les concerts, en France mais aussi peut-être à l'étranger... Affaire à suivre.

Le covid est arrivé alors que Shaârghot était en train de décoller. As-tu l'impression que le sort s'inverse enfin pour vous ?
Très franchement, avec le recul, j'ai l'impression qu'on fait partie des groupes qui ne se sont pas trop mal démerdés avec le covid. On a su rebondir grâce au court-métrage Black Wave, avec le Compendium et tout ça, on a réussi à maintenir un intérêt malgré ces presque deux ans où il ne s'est rien passé. On a senti que ça générait une attente de plus en plus grande. Pendant la pandémie, notre fanbase a grossi. Quand on est sortis du covid, il y avait vraiment de la demande pour nous voir et j'ai l'impression depuis qu'une espèce d'effet boule de neige s'est créé. Je suppose que le concept et ce côté très défouloir a attiré des gens, qui retenaient leur frustration depuis longtemps. C'est aussi ce qu'on défend sur scène. Même si ça a été une mauvaise expérience, je pense que le covid a peut-être finalement été bénéfique pour nous.

Et maintenant que vous êtes plus "grands", est-ce que tu as l'impression que Shaârghot pourrait avoir un rôle de "parrainage" envers d'autres artistes ?
Non, je n'ai pas de rôle de parrain à avoir. Je fais les choses pour moi et j'essaye la plupart du temps de me couper du monde, en fait. Pour moi Shaârghot a un but presque cathartique, c'est un peu ma psychanalyse en quelque sorte. Je ne me sens pas légitime d'aller dire si tel ou tel groupe est bien. Je fais mon petit bonhomme de chemin, j'avance, je ne me pose pas trop de questions, et si après ça inspire d'autres gens, tant mieux mais à aucun moment je ne vais me mettre à dire qu'on est le fer de lance de tel ou tel mouvement musical. Ce n'est pas mon rôle, ça ne sera jamais mon rôle. Je ne me préoccupe pas de l'extérieur et je souhaite ne jamais avoir à m'en préoccuper.

Votre troisième album sort bientôt. Comment est-il né ?
J'avais initialement prévu autre chose pour ce Volume III mais les événements récents, autrement dit le covid, ont fait que j'ai pris une autre direction. J'étais parti pour faire un album peut-être un peu plus sombre, un peu plus dépressif mais le fait de rester enfermés pendant si longtemps nous a agacés mes compagnons et moi plus qu'autre chose. Il y avait pas mal de frustration, pas mal de rage, pas mal de trucs à sortir et ça a donné naissance à un album effectivement plus sombre mais aussi beaucoup plus violent que ce que je voulais faire à la base. Pour une fois, on va dire que l'aspect personnel a un peu pris le pas sur l'histoire, là j'avais besoin du Shaârghot énervé plus que dépressif. Je pense que ça va s'entendre dans l'album ! C'était un moyen pour moi d'exprimer une certaine rancœur parce qu'en 2019 on avait ce concert blindé au Hellfest, on devait enchaîner avec leur tournée Warm-Up, on avait beaucoup de choses qui se préparaient pour nous et, tout à coup, tout ça s'est arrêté net. Bonjour, au revoir, à la prochaine : vous pouvez retourner dans votre cave... On était bien lancés et ça nous a collé un gros stop. Il y a eu pas mal d'amertume. On est avant toute chose des musiciens de live et la scène nous a énormément manqués, on avait vraiment beaucoup d'énergie à sortir. On s'est dits que c'était justement l'occasion de prendre cette énergie, cette frustration, et d'en faire quelque chose.

Et où en est l'univers que tu développes avec Shaârghot ?
Concernant l'histoire, il y a une chose que j'ai faite et que je n'ai pas l'habitude de faire avec ce projet : j'y ai mis plus d'éléments personnels. Je me suis permis cette petite transgression car je me suis rendu compte que ça pouvait marcher avec la créature. Je me suis servi de choses qui me sont arrivées dans ma vie et n'était pas vraiment plaisantes mais pouvaient coller à l'histoire du personnage. Je ne vais pas dire sur quels morceaux, ça vous vous démerderez... si vous arrivez à me comprendre, parce qu'il ne faut toujours pas compter sur moi pour donner les paroles ! Il y a des bouts de phrases ici ou là qui sont autant valables pour le Shaârghot que pour moi. Il y a un petit pont qui a été fait entre créateur et créature sur cet album, ce que je ne fais normalement jamais mais là j'en avais besoin. Pour l'univers, on en est à un stade où les shadows ont commencé à sortir des sous-sols et commencent véritablement à envahir les niveaux inférieurs de la Cité Ruche, ce qui devient complètement ingérable. L'intro de l'album commence avec une espèce de zapping des différentes sources d'information de la Cité Ruche où l'on entend que les gens en sont encore à se demander si ces histoires de monstres mutants cannibales sont réelles ou si c'est juste de l'intox. C'est un truc que je voulais développer un petit peu parce qu'on observe aussi ça de plus en plus sur les réseaux sociaux, on a une espèce de sphère conspirationniste qui se crée mais qui est presque individuelle. Tout le monde se méfie de tout ce qu'il voit et part du principe que ce n'est pas parce qu'on nous montre un truc que c'est vrai. Alors oui, c'est très bien de se méfier des sources, mais il ne faut pas forcément non plus tout rejeter ! On en est à un stade où beaucoup de gens ont peur de tout et se font leur propre film... Je trouvais que cet aspect-là pouvait tout à fait se retrouver dans une cité saturée d'informations comme la Cite Ruche où, malgré les émeutes et les meurtres qui s'y produisent, il y en a encore pour dire que les shadows n'existent pas et ont juste été inventés par le Great Eye pour nous manipuler. Une des dernières phrases de l'intro dit que les gens se demandent encore si ça existe, mais en fait c'est déjà trop tard : les shadows ont faim et ils arrivent ! Je pense qu'on a un côté encore plus nihiliste développé dans cet album, plus violent. Il y avait encore des notes d'amusement dans les albums précédents mais là on pourrait penser que le Shaârghot a perdu son sourire. En gros, il est temps d'en finir.

Pourtant, en tant qu'auditeur, on peut trouver un côté un peu fun et ludique à son écoute, notamment avec tous les clins d’œil que vous faites à d'autres artistes...
Je me suis toujours beaucoup amusé à piocher des choses ici ou là, principalement parce que ça me fait kiffer. Je ne cherche pas spécialement à passer pour un génie ou un grand compositeur. L'objectif de tout ça, c'est de m'amuser, tout simplement, faire des trucs qui m'éclatent et vont peut-être même me surprendre. Par exemple je peux me demander "Tiens, et si je prenais du Heilung et du 3Teeth, si je foutais tout ça dans un putain de shaker et que je secouais avec ma voix par dessus, ça donnerait quoi ? Allez, on essaye, on va voir, j'en sais rien !". Une fois que ça c'est fait, hop, on peut passer à la suite et essayer quelque chose de complètement différent. Ce n'est pas la première fois que je fais des clins d’œil à d'autres artistes et je fais ça en toute connaissance de cause, un peu à la manière de Tarantino qui ferait ses hommages au cinéma avec des plans "à la façon de"... Je pense que des gens retrouveront forcément du Pain, du Eisbrecher, du Combichrist évidemment, plein de petites références sonores. L'objectif était de se marrer. Shaârghot, je l'ai toujours fait pour moi et je le ferai toujours pour moi. Le jour où je commencerais à le faire pour les autres, c'est que je ne m'amuserais plus vraiment et il y aurait un problème : je serais alors dans un objectif de vente et ce n'est pas le but premier, ça ne l'a jamais été. Je me suis toujours un peu fait dépasser par l'ampleur prise par le projet : je ne m'attendais pas du tout à ce que le groupe marche comme ça. Je vais donc continuer à faire ce que je sais faire de mieux : faire les trucs pour moi et ne pas trop réfléchir, ça j'y arrive très bien !

Au moment de composer des titres, penses-tu d'abord à l'histoire à raconter ou vient-elle se greffer à la musique ?
Dans Shaârghot, on n'a pas vraiment de modus operandi. J'ai plein de façons de faire, ça va dépendre de mon humeur, d'un truc que j'aurais pu entendre... Parfois je pars d'une idée et je construis l'histoire puis je pars sur un morceau qui va englober cette histoire ou bien, la majorité du temps je pars d'un son, d'un gimmick un peu entêtant, et une fois que j'aurais trouvé le bon son pour ce gimmick je commence à construire le morceau autour et trouve le sens ensuite. La plupart du temps, j'écris les paroles en yaourt pour ne pas être limité par autre chose que le son, qui reste pour moi ce qui est primordial dans Shaârghot. Il nous faut ce côté très efficace, très dancefloor... les paroles sont parfois presque secondaires. Je cherche d'abord les sonorités agréables à écouter et ensuite je trouve le texte. L'humeur générale apportée par les synthés oriente pas mal ce que je vais raconter.

Le line-up a évolué, avec l'arrivée de Paul. Qu'est ce que ça a changé pour toi ?
L'arrivée de Paul, compositeur et créateur du groupe Kloahk, a été un gros ajout. Plus de la moitié des morceaux ont été composés avec lui. Ça m'a fait pas mal de bien : je connaissais Kloahk depuis un moment et j'aimais beaucoup son touché à la guitare et les textures qu'il avait sur son synthé... et je voulais justement un peu de nouveauté, un truc rafraichissant qui pourrait me surprendre moi-même. Je lui envoyais donc mes compos pour lui demander ce que ça lui inspirait et je suis super content de ce qu'on a pu apporter comme ça. Il y a pas mal de travail de textures qu'on a pu expérimenter ensemble, pas mal de nouvelles choses dans le jeu de guitare qui changent de d'habitude... On a toujours ce côté très martial avec des riffs bourrins mais il y a quelques petits trucs bien particuliers propres à Paul qui s'y sont ajoutés. Pour moi, c'était vraiment plaisant et rafraichissant. Collaborer avec de nouvelles personnes me permet aussi d'enrichir l'univers sonore de Shaârghot.

L'équipe en coulisses a aussi changé...
Oui, on a aussi changé d'équipe pour la production de cet album. On a fait appel aux services d'Arco Trauma de Sonic Area, Chrysalide et Les Tambours du Bronx pour ajouter des sons supplémentaires et avoir un recul qu'on n'avait plus forcément après avoir passé des mois voire presque un an sur certains morceaux ! On lui a envoyé ce qu'on avait en lui disant de nous faire ses propositions, ce qu'il voulait, même si ça lui semblait hors-sujet... et bingo, ça l'a fait ! Il y a eu pas mal d'ajouts de sa part que je trouve vraiment très intéressants et qui font la différence, ce petit gap qui fait qu'il y a ce côté vraiment jouissif et inattendu qui nous a fait énormément plaisir. Travailler avec lui était particulièrement plaisant. L'enregistrement s'est fait au Black Box Studio et dirigé par Peter Deimel. En plus, on avait avec nous Thibault Chaumont qui a bossé notamment sur les masterings de Igorrr et Perturbator et a fait une partie du mix du dernier Carpenter Brut. Il a lui aussi apporté du neuf au son, quelque chose de plus electro, d'un peu moins sale. Là où on avait avant un côté très garage punk énervé et très massif, on voulait maintenant que ce soit plus aéré. Thibault a vraiment mis sa patte là-dessus. On reconnaît toujours que c'est du Shaârghot mais on sent aussi que c'est un peu plus précis au niveau du grave et au final encore plus efficace qu'avant.

J'imagine que tous ces changements ont modifié votre façon de travailler...
Habituellement, je composais la grande majorité du temps et faisais ensuite des ajouts et de la co-compo avec une personne en plus. Cette fois, je me suis dit que ça serait intéressant d'avoir un côté plus live. Au moment d'enregistrer l'album, ça faisait huit ans qu'on travaillait tous ensemble et six ans qu'on tournait. On a développé une espèce de synergie avec le groupe. On voulait retranscrire cet aspect là. On a beaucoup travaillé ensemble en amont, chose que l'on ne faisait pas avant. Avant, chacun restait de son côté à bosser ses parties, on les envoyait et ça partait en mix. Là il y a eu beaucoup de temps de répétitions, que ce soit chez Bruno ou Clem, pour nous approprier le morceau, le faire vivre et ressentir un côté plus vivant. Il fallait retrouver l'énergie qu'on dégage en concert. Ça l'a fait : au moment d'enregistrer les prises finales on était vraiment tous ensemble en studio et ça s'est ressenti. Le fait d'être tous ensemble dans la même pièce, il se passe un truc, c'est forcément pas pareil que quand t'as un mec derrière chaque ordi qui fait son truc dans son coin. C'était largement plus plaisant, cette fois-ci. On a enregistré l'intégralité des morceaux en deux jours et demi et j'ai enregistré toutes les parties voix en autant de temps. Je t'avoue que je n'étais pas certain de pouvoir le faire ! Mais au moment de l'enregistrement, j'avais tous ces trucs un peu durs et personnels dans ma vie et je me suis beaucoup appuyé sur ça pour essayer de mettre un maximum d'émotion dans l'album. Je me suis dit que cette souffrance qui était là pouvait aller avec le personnage. Ce n'est peut-être pas parfait, ni exactement comme je l'imaginais, mais je ne suis pas mécontent du résultat à l'heure actuelle.

Une chose saute aux oreilles immédiatement dans l'album, c'est le travail sur les ambiances.
Shaârghot a toujours été un projet cinématographique. Ça s'est toujours vu avec nos clips : il y a toujours un soucis de recherche d'ambiances, de textures, de toutes ces choses un peu étranges qui vont créer l'univers de la Cité Ruche. En même temps, on n'avait jamais eu l'occasion par le passé de vraiment pousser ce concept à fond dans nos albums, du moins correctement et comme je l'entendais. On avait des petits bruits, du sound-design, des ambiances un peu creepy, des chuchotements, etc, mais là pour une fois j'ai vraiment pu mettre en musique l'ambiance de la Cité Ruche. On entend des bruits de ville, des personnages holographiques parler, des discours politiques de représentants du Great Eye... J'ai vraiment pris le temps de faire ça et on a cette espèce de voyage sonore à travers la cité que l'on ressent beaucoup plus que sur les albums précédents.

Êtes-vous du genre bordélique, ou au contraire très organisés ? Es-tu un tyran avec ton groupe ?
J'ai une phrase un peu toute faite pour ça : on fait les choses très sérieusement mais sans se prendre au sérieux ! Shaârghot a peut-être l'air punk et bordélique sur scène, mais en réalité cette espèce de chaos a besoin d'être cadré. Ça demande beaucoup de rigueur, beaucoup de discipline, beaucoup de travail. On est relativement calmes en dehors de la scène et on se lâche une fois sur les planches. Notre méthode de travail est très carrée, on bosse au clic... On peut même dire qu'on est assez studieux mais ça ne nous empêche pas de déconner... On ne va pas prévoir cinq heures de répétitions pour arriver complètement déchirés, ça n'aurait aucun sens... Surtout qu'on fait toujours légèrement moins bien en live parce qu'il y a l'adrénaline, l'énergie, les trucs inattendus comme par exemple quand je ne vois pas mon guitariste arriver parce que je n'ai pas de vision latérale et qu'on se rentre dedans ! Je ne vois absolument rien sur scène, de toute façon ! Autant être le plus carré possible quand on répète et laisser les imprécisions sur scène, où on peut vraiment se lâcher. Un groupe comme le notre qui transporte beaucoup de matos et d'électronique, est obligé de faire des fiches et de tout checker en permanence. On ne peut pas se permettre d'arriver les mains dans les poches sans savoir où on fout les pieds parce que sinon ça va être le bordel, on va perdre des trucs, en casser d'autres... Il faut être vachement structuré. C'est clair qu'on est très loin du cliché de la rock star qui arrive complètement déchirée, on n'est pas du tout comme ça. On aime bien picoler un petit peu avant mais on se lâche véritablement une fois que le travail est fait. 

Quelle place un projet comme Shaârghot laisse aujourd'hui dans ta vie de tous les jours ?
Aucune place. Shaârghot ne laisse de la place à absolument rien d'autre. C'est un projet extrêmement chronophage qui me prend tout mon temps, dans la mesure où je m'occupe de la grande majorité de la composition, j'écris seul les paroles, je gère les réseaux sociaux, je travaille sur une grande partie des visuels avec Lyan... Il y a de nouvelles personnes qui se sont ajoutées à l'équipe mais rien n'est fait sans que je vérifie tout de A à Z, que ce soit pour les lumières, les clips, etc, j'encadre tout. C'est un boulot de tous les jours qui ne laisse la place à pas grand chose d'autre. On va dire que Shaârghot, c'est la quête principale et je l'ai commencée en pagne avec une épée niveau 1 en voulant m'attaquer aux dragons directement, ce qui est complètement suicidaire ! Avec le temps, je commence à me dire qu'il serait peut-être intéressant de me lancer dans des quêtes annexes pour avoir un peu plus de loots, parce qu'à force je pense que je vais finir par péter mon épée ! Autrement dit, il faudrait peut-être que je pense à me reposer de temps en temps...

J'imagine que ça doit être aussi source de pas mal d'angoisses...
Je ne me verrais pas faire autre chose que Shaârghot de toute façon, c'est un projet qui me satisfait pleinement... mais pour autant, oui, c'est un projet qui génère vachement d'angoisses. Je n'ai pas beaucoup de choses cadrées dans ma vie actuelle, je ne sais pas où je serai dans deux ou trois mois... Toute ma vie est quand même basée sur quelque chose de relativement instable donc je ne sais pas trop où je vais dans les prochaines années. J'ai des objectifs, bien sûr, je ne pars pas à l'improviste, mais tout peut basculer à n'importe quel moment. Quand tu es intermittent et que tu n'as pas un cadre de vie très structuré, c'est compliqué de compter sur un certain confort matériel... tout cela est quand même très précaire. Donc oui, ça génère pas mal d'angoisses, mais je ne changerais pour rien au monde !

Pendant la pandémie, vous avez tourné un court-métrage très ambitieux. Comment l'idée est venue ? Quels retours avez-vous eu ? En es-tu satisfait ?
Ça faisait un bon moment qu'on voulait faire quelque chose comme Black Wave avec Teddy, le réalisateur. On en parlait depuis un bail mais c'était plus de l'ordre du fantasme qu'autre chose. On avait posé quelques bases avec l'intro légèrement scénarisée du clip de Break Your Body ou sur Z//B avec les parties dialoguées mais on s'était dits que ça n'irait jamais plus loin que ça. Malheureusement, ou heureusement, le covid est arrivé et on a pu développer un peu ce truc là. Quitte à rester bloqués à ne pas pouvoir faire de concerts, on a eu du temps pour faire ce genre de trucs. On pensait faire un autre clip façon Z//B en un peu plus élaboré mais plus on travaillait dessus, plus on réalisait que ça allait devenir un court-métrage. On était conscients que ce n'était pas le truc le plus facile à vendre mais on s'en foutait, on l'a fait quand même parce qu'on n'aura probablement plus jamais l'occasion de faire un truc comme ça ! On a bossé une bonne partie du confinement là-dessus, ça nous a pas mal occupés et fait beaucoup de bien. Le tournage a aussi eu lieu pendant ces périodes, ce qui a été vraiment libérateur pour beaucoup de gens parce qu'on a pu sortir de chez nous, retrouver des petits moments d'échange conviviaux... tout le monde était très content d'être heureux ! C'était même parfois un bordel sans nom dans le tour bus ou avec les figurants, tellement ils étaient contents de sortir de chez eux ! Il y avait un côté très bon enfant dans l'équipe mais quand il s'agissait de bosser, c'était carré. Le boulot s'est fait de façon très sérieuse mais dans un cadre très détendu. C'était très prenant, épuisant, mais très satisfaisant.

Est-ce une expérience que tu aimerais renouveler ?
Je ne pense pas qu'on aura l'occasion de refaire quelque chose d'aussi long. On va devoir repasser sur des formats plus courts dans l'immédiat, malheureusement, parce que c'est plus vendeur. C'est plus facile de vendre un format de cinq minutes que de vingt... Le réseau social en tête aujourd'hui est TikTok et les gens ont difficilement plus de cinq à six secondes d'attention à te consacrer donc il faut les choper tout de suite. Sinon, personne ne regarde ce que tu fais. On est quand même un peu obligés de réfléchir à comment les gens vont regarder notre travail. Ok, on se fait plaisir, c'est très bien, mais si personne ne regarde le résultat parce que c'est trop long, on aura foutu une somme d'argent assez considérable par la fenêtre et ce sera plus que démotivant pour les équipes. Il faut trouver le moyen de continuer à se faire plaisir tout en respectant un certain cahier des charges et penser à l'air du temps. On ne sera jamais sur des formats de 30 secondes ou une minute, c'est clair et net, mais on ne peut pas toujours faire vingt minutes non plus !

Pour finir, peux-tu nous révéler un ou deux secrets de fabrication de l'album ?
Des anecdotes à la con avec le groupe, il y en a toujours un paquet... Comme je le disais, on fait les choses très sérieusement mais sans trop se prendre au sérieux. Tiens, par exemple, quand je commence un nouveau morceau, je lui donne toujours un nom de maquette à la con. Il y en avait un qui avait pour nom Un Bon Gros Morse, ne me demande pas pourquoi, je n'en ai aucune idée, j'ai probablement vu une image de morse passer à ce moment là... On bossait un peu en ping-pong sur cette maquette avec Paul pour voir ce que lui allait ajouter. Il tardait à me le renvoyer donc à force, je lui envoyais des images de morses pour le secouer un peu et il a fini par en avoir marre que je le relance donc il a planqué dans le morceau un son de morse. On a un bon cri de morse bien guttural qui apparait ici ou là. Il l'a fait pour me troller mais j'ai trouvé le son tellement génial que j'ai décidé de le garder en le doublant avec un synthé. Quelque part, il y a un morse planqué dans l'album, je vous laisse trouver où ! Si quelqu'un y arrive, bravo ! Ou bien, puisqu'on parle de Paul, il y a un autre morceau qui avait pour nom de code Sexy Flying Pizza. À la suite d'une soirée bien arrosée, Paul s'est mis à danser tout nu avec une pizza trop cuite après s'en être servi comme frisbee. À vous de deviner laquelle !