[Cinéma] The Munsters de Rob Zombie

[Cinéma] The Munsters de Rob Zombie

Pierre Sopor 4 novembre 2022

Titre : The Munsters
Genre : Comédie
Réalisateur : Rob Zombie
Année : 2022
Pays : USA
Avec : Sheri Moon Zombie, Jeff Daniel Philipps, Richard Brake, Sylvester McCoy, Daniel Roebuck
Synopsis : Les Munster sont une famille tout ce qu'il y a de plus monstrueux ! Herman, le chef du clan, ressemble à s'y méprendre à la créature de Frankenstein. Lily et Grandpa sont des vampires. Quant à Eddie, le fils, c'est un loup-garou ! Mais à part ces petites fantaisies, ils sont des gens comme tout le monde...

Au début des années 2000, quand Rob Zombie dit faire une pause dans sa musique pour se consacrer au cinéma d'horreur, il est très vite catapulté parmi les réalisateurs les plus prometteurs du genre, ceux qui apportent un vent (putride) de renouveau. House of 1000 Corpses et The Devil's Rejects posent les bases d'un style, entre hommage aux années 70, violence crue, humour (très) noir, personnages excessifs et langage cru. Pourtant, le charme s'estompe au fil des films et depuis dix ans, Zombie a enchaîné les bides commerciaux (le très intéressant The Lords of Salem et ses expériences perchées, injustement boudé) et artistiques (dans 31, déjà, malgré quelques scènes visuellement marquantes, il semblait s'auto-parodier, mais rien ne pouvait nous prévoir à 3 From Hell, sorte de fan fiction balourde qui recyclait sans y réfléchir The Devil's Rejects pour vainement tenter d'en retrouver la magie).

Le voir se lancer dans The Munsters avait de quoi raviver notre intérêt sérieusement émoussé par des années d'errance : non seulement Rob Zombie y change de registre en passant de l'horreur trash à la comédie familiale, mais il s'agit aussi d'un vieux rêve de l'artiste. Depuis plus de vingt ans, il souhaitait en effet adapter la série des années 60, cousine et rivale de La Famille Addams, avant même de libérer les horreurs de la famille Firefly sur le monde. Avec Netflix en diffuseur, on pouvait même lui fantasmer un budget suffisant : il est finalement quasi anémique (bien loin des 30 et quelques millions que des rumeurs ridicules font circuler, Zombie explique que cette somme représente le budget cumulé de presque tous ses films). Il y a en tout cas deux éléments dont on ne doute pas, a priori : l'amour du réalisateur pour The Munsters (la voiture de la série est déjà présente dans le clip de Dragula) et son humour (une des raisons de son succès à ses débuts n'est-elle pas justement les punchlines de ses psychopathes ?).

Et puis le film commence. On se retrouve catapultés en Transylvanie dans une sorte d'origin story qui doit amener cette famille monstrueuse et dysfonctionnelle à déménager en Californie et là, l'hallucination commence. Ne cherchez pas à régler votre écran: ces couleurs trop saturées, criantes, sont bien une volonté artistique. Zombie voulait faire le film en noir et blanc, la production le lui a refusé sous prétexte que ça ferait "fuir le public". Pas de problème, "on va faire le contraire du noir et blanc" décide-t-il, bon plan ça, le public n'aura pas peur du tout de ces roses fluo et ces bleus / verts sortis de la maison hantée de Disney Land. Les mauvaises langues diront que c'est à ce moment-là qu'il aurait fallu tout annuler. Pourtant, ce choix esthétique se défend : il est cohérent avec tout le reste, excessif, cartoonesque... et bancal. Car dans ces décors en carton, avec ces acteurs en costume d'Halloween qui en font des tonnes pour essayer de donner vie à un scénario inexistant, ces couleurs qui explosent et que l'on trouvait repoussantes à première vue sont finalement, et de très loin, ce qu'il y a de plus réussi dans The Munsters...

Le principal problème de The Munsters n'est pas dans le jeu de ses acteurs en roue libre, abandonnés, tentant vainement d'insuffler une énergie décalée. Pourtant, il y aurait à redire : Sheri Moon canalise un peu injustement beaucoup de crispation en essayant d'imiter Yvonne de Carlo sans en avoir le naturel, Richard Brake est déchaîné et même si son incroyable bobine suffit à faire le job la plupart du temps c'en est épuisant, Jeff Daniel Philipps est pachydermique... seul l'ancien Doctor Who Sylvester McCoy est crédible en personnage de cartoon, avec sa petite trogne et ses grimaces. Non, le vrai problème de The Munsters est ce qu'il raconte.

C'est simple : côté écriture, c'est le vide abyssal. On passe d'une péripétie à une autre sans fil conducteur valable, les personnages sont creux, les enjeux nuls ou jamais ressentis. En racontant des origines qui n'intéressent finalement pas grand monde (si ce n'est Zombie lui-même, en bon fan boy), le film commet le crime de terminer au moment où il devrait commencer, quand, enfin, il nous arrache presque sous la torture un premier sourire à la vue de cette famille horrifiée de découvrir la Californie, son soleil et ses voisins tout propres. Aucun gag ne fonctionne (un comble venant d'un réalisateur dont on avait remarqué la férocité de l'humour), le rythme est à côté de la plaque : on se demande même qui, au montage, a pu valider un film en disant "ok les gars, cette scène fonctionne", c'est tout bonnement impossible. La traversée de The Munsters devient une pénible errance au milieu d'un délire hystérique auquel Zombie essaye d'insuffler artificiellement du rythme en utilisant à l'excès des effets visuels grotesques qui ont bien trop l'air de caches-misère artificiels pour être efficaces.

Voilà. C'est dit, The Munsters est nul, d'une nullité abyssale que l'on n'osait même pas craindre venant de Rob Zombie. Maintenant que c'est posé, officiel, validé, qu'internet a hurlé toute son indignation, toute sa haine contre le film et s'en est moqué longuement, peut-on passer à autre chose ? Car dans sa nullité, The Munsters est aussi, finalement, attachant (un peu).

Il y a une manière de regarder The Munsters qui le rend supportable : en faisant des pauses toutes les 10/ 15 minutes. C'est long, c'est fastidieux, mais en le découpant en plusieurs épisodes, on y retourne les yeux frais et l'esprit disposés à replonger pour une courte durée dans ce tourbillon de n'importe quoi. Et tout de suite, comme une mauvaise série qui finit par devenir vaguement addictive, la famille Munsters nous devient plus ou moins sympathique. Surtout, même si Rob Zombie se plante complètement dans sa comédie familiale, au moins il n'est pas en train de nous resservir pour la énième fois une bande de crados immondes qui, à force, ne choquent plus personne.

Zombie avait déjà fait des mauvais films, voire des très mauvais. The Munsters est d'un tout autre calibre : c'est un OVNI absurde dans lequel rien n'est à sa place, chaque choix flirte avec le catastrophique. Techniquement, c'est atroce. On parlerait bien de l'écriture, mais il aurait fallu qu'il y en ait. On s'inquiète beaucoup pour les acteurs, qui donnent l'impression de tous faire des AVC sous un dégueulis frénétique de couleurs qu'aucune rétine sur Terre n'aurait dû contempler. Là où la série d'origine a un charme désuet, le film de 2022 est ringard de bout en bout. Mais ni ses décors qui se pètent à moitié la gueule, ni son rythme agonisant ni la sensation permanente de malaise qui nous étreint ne peuvent enlever à The Munsters la sincérité de la passion de son auteur. Et finalement, avec sa famille d'acteurs fidèles au talent discutable et son enthousiasme, Rob Zombie parvient à une prouesse sûrement involontaire et à laquelle on ne s'attendait pas : il entre dans la même catégorie qu'Ed Wood, injustement sacré "plus mauvais réalisateur de tous les temps" en signant un nanar cosmique, un vrai. C'est objectivement nul, mais sans cynisme et, finalement, plus attachant et bien moins néfaste qu'un blockbuster sans âme. Au moins, il y a des monstres et de l'amour.