Chronique | The Vision Bleak - Weird Tales

Pierre Sopor 12 avril 2024

Publié à partir de 1923 jusqu'aux années 50, le magazine Weird Tales a vu passer quelques belles plumes noires en ses pages : Lovecraft, évidemment, mais aussi Clark Ashton Smith, Abraham Merritt, Robert E. Howard... et même Tennessee Williams. The Vision Bleak, qui s'est toujours appuyé sur le cinéma et la littérature pour donner vie à son univers gothique, emprunte son nom à la célèbre publication pour rendre hommage aux "sombres imaginations" en général, y compris, bien sûr, celles qui n'y ont pas été publiées comme Edgar Allan Poe ou Lafcadio Hearn. Leur nouvel album, le premier depuis The Unknown huit ans auparavant, se présente sous la forme d'un morceau unique découpé en chapitres que l'on parcourt comme un recueil de nouvelles macabres et mystérieuses.

Malgré sa pesanteur sinistre, Weird Tales se déroule à toute allure, avec une fluidité résultant à la fois de la concision des morceaux (on ne dépasse presque jamais les quatre minutes) et des mélodies servant de transition d'un chapitre à l'autre. C'est d'ailleurs de ce côté-là qu'encore une fois The Vision Bleak régale, à l'image de celle, sinistre et entêtante, qui ouvre l'album pour nous emporter vers In Rue d'Auseil. La nouvelle de Lovecraft La Musique d'Erich Zann sert ici d'inspiration et se prête, avec son violoniste hanté par des visions indicibles et jouant une musique d'un autre monde, tout particulièrement bien à une entrée dans l'univers de l'album.

Dans The Unknown, la mélancolie gagnait plus que jamais The Vision Bleak. Weird Tales continue dans cette voie (The Undying One) et durcit le ton de manière plus parcimonieuse (il faut attendre le quatrième titre renvoyant à un poème de Hearn, Once I Was a Flower, pour que le chant mute en grognements et que les guitares mordent avec hargne). Le duo soigne ses effets et économise ses menaces pour leur donner plus de poids. Le groupe peaufine plus que jamais ses atmosphères brumeuses (The Graveyard by Nyght in a Thunderstorm où une pesanteur funèbre nous écrase pendant un orage délectable). C'est quand le tempo ralentit que Weird Tales dégage la solennité d'une condamnation à mort, les déclamations de Markus Stock et Tobias Schönemann, aussi bien bourreaux que narrateurs, tombent alors avec une inertie d'outre-tombe appuyée à la fois par les lamentations des guitares et des nappes de synthés discrètes.

La traversée de Weird Tales touche à sa fin alors que la très doom / death To Drink from Lethe nous invite à nous noyer dans les eaux noires du fleuve infernal. En travaillant le liant entre ses morceaux, le groupe a plus que jamais accentué l'aspect théâtral de sa musique et l'album défile comme les scènes d'une pièce grand-guignolesque grandiloquente et majestueuse. Avec emphase, The Vision Bleak invoque spectres et entités de derrière le voile et provoque de délicieux frissons délicieux pour une séance pleine d'élégance et de poésie macabre.