Il avait fallu six ans à Sierra Veins pour sortir un premier album, le temps pour l'artiste de se faire la main et un nom, de savoir où elle voulait aller et, déjà, d'évoluer de manière significative. Depuis A Story of Anger il y a deux ans, tout semble s'être accéléré : un EP de remixes et des dates de concerts qui s'enchaînent, attirant un public hétéroclite fait d'amateurs de musiques électronique, de metal, des goths... et, déjà, un second album. Si In the Name of Blood ne provoquera pas la même surprise que son prédécesseur en son temps, qui nous faisait redécouvrir le travail de Sierra Veins en y incorporant le chant, il s'accompagne néanmoins, déjà, d'une remise en question de la part d'Annelise Morel.
La quête d'identité semble être au cœur de son travail, un thème que son changement de nom, passant de SIERRA à Sierra Veins, laissait entrevoir. Les veines, le sang, notre ADN et ce qui nous définit servent de socle à ces neuf nouveaux morceaux faits de tension, de mélancolie, de rage et dont les influences, comme d'habitude, brassent large (darksynth, EBSM, techno, cyberpunk...). Pourtant, très vite, quelque chose nous frappe : si Sierra Veins a pu questionner son identité, sa musique semble elle plus affirmée que jamais. Il suffit de l'intro éponyme pour le constater : mid-tempo écrasant, quelques mots en spoken word, des spectres de violons qui se lamentent dans la brume et des basses qui nous ratatinent... elle n'y va pas avec le dos de la cuillère. On connaissait son goût pour les formules ultra-accrocheuses enrichies d'idées inattendues, on les retrouve avec plaisir.
Il y a un détail qui ne trompe pas. Sur son premier album, Sierra Veins faisait appel notamment à Carpenter Brut et HEALTH, des "boss" qui semblaient lui apporter leur validation. Cette fois-ci, plus besoin de parrainage : elle est devenue la boss. La seule collaboration à noter est avec Ghost Dance le temps d'un Memory Cells où se mélangent douceur et intensité viscérale. L'univers est sombre, la musique fiévreuse. "Who am I gonna be ?", qu'elle nous demande. Nous, on a envie de lui dire "sois qui tu veux" mais quelque chose nous dit qu'elle l'est déjà.
Il est assez touchant de parcourir In the Name of Blood sous cet angle et d'apprécier comme les doutes intimes infusent les paroles de l'album, lui donnant son âme, mais aussi comme les morceaux sont une démonstration constante de créativité de la part d'une artiste en pleine possession de ses moyens. Who I Used to Be, rageuse et aux ombres aggrotech jouissives, hausse le ton. On y apprécie les ruptures soudaines, la lourdeur, la rage de vivre qui suinte de sa dernière partie possédé par une énergie désespérée. Sierra Veins saigne pour sa musique, ça tabasse mais avec une forme de poésie, une touche bien personnelle.
Les spectres se libèrent de la machine et nous enveloppent de leur froide mélancolie. Avec des titres comme The One, The End of Time et son piano qui semble s'extirper de ruines futuristes, fantôme anachronique, ou encore l'excellent morceau instrumental (le seul de l'album) It Was Written, Sierra Veins confirme son talent pour donner vie à des univers cyberpunks faits de nuit, de néon, de pluie et de solitude dans la multitude. C'est cinématographique et théâtral, dense et évocateur.
Dans leurs pauses ou leurs accélérations, dans leurs couches qui s'ajoutent les unes aux autres, les morceaux d'In the Name of Blood font écho à cette quête d'identité. Mais Sierra Veins ne tâtonne plus, elle crie avec assurance. Vers le milieu de l'album, Ain't No Woman impressionne avec ses paroles scandées, sa menace qui explose petit à petit et une quête apparente de compassion qui tourne finalement à une affirmation de soi, de ses parts d'ombre. S'approprier ses stigmates, sa différence, et en faire sa force : Sierra Veins est unique, et les freaks que nous sommes sont ravis de la voir s'affirmer avec une telle puissance. On a de quoi transpirer avec abondance, mais In the Name of Blood n'est pas qu'une succession de pistes irrésistibles, c'est aussi un étendard sous lequel se rallier, embrasser nos identités, nos blessures, et en faire à notre tour quelque chose de fort. Dit de manière moins pompeuse : Sierra Veins, ça bute. Le précédent tournait encore en boucle mais on va bien trouver de la place au petit nouveau !