Chronique | Sieben - 2020 Vision

Pierre Sopor 21 avril 2020

Cette fois ça y est, c'est la fin du monde. Avec Crumbs, SIEBEN se faisait plus ouvertement politique, plus frontal, quasi punk. Le Brexit, le réchauffement climatique... Les sujets ne manquaient pas pour le génial Matt Howden qui avait prévu de nous chanter l'Apocalypse sur sa dernière œuvre, 2020 Vision. Hasard du calendrier : entre le moment où a été enregistré l'album et sa sortie, une bonne partie de la planète s'est retrouvée impactée par un virus. De quoi donner à 2020 Vision une pincée de piquant supplémentaire.

L'album pourrait en effet être la bande-son parfaite du confinement. Jugez un peu : We're All Fucked, Kev lance le disque sur un dialogue entre l'artiste et son instrument, son nouveau violon (le fameux Kev). La fin est proche, c'est plutôt une mauvaise nouvelle pour les humains, mais les violons, eux, s'en foutent un peu. L'échange est surréaliste et porté par une mélodie frénétique, les sons stridents de Kev nous plongeant dans une transe folle : Matt Howden aurait-il fini par totalement perdre la tête ? Ensosonbenzos, entre divagations d'un dingo et incantations tribales soulignées par des percussions possédées, ne nous rassure pas sur son état. Sa voix, toujours d'une élégance folle, dégage mélancolie, ironie mais aussi une rage contenue portée encore une fois par les gémissements de Kev, poignants. Ces deux-là forment un sacré duo.

Les albums de SIEBEN ont beau se suivre, ils ne se ressemblent pas. 2020 Vision a toujours cette puissance hypnotique grâce aux boucles et couches successives, mais les mélodies de Kev ont une intensité nouvelle et surtout une folie plus libérée qu'à l'accoutumée. Matt Howden nous promène de surprises en surprises, d'une relecture de The Old Magic (The Death Tape) avant des sonorités blues inattendues (Shirt of the Apocalypse) voir carrément rock (Vision), où des guests (respectivement Conor Nutt et Rachel E) apportent des voix supplémentaires à l'ensemble. Le tout traversé par Kev, son violon virtuose, dense, omnipotent, obsédant. Sa voix, celle que Howden entend dans sa tête, on l'entend aussi et l'artiste nous invite ainsi à partager sa démence dans un final halluciné, Come and Ride the Cult of Light, sorte d'éloge funèbre psychédélique et cynique pour une humanité qui continue de se précipiter vers l'abattoir. Pessimiste, le Howden ? On pourrait en douter, tant la perspective de notre extinction prochaine semble le réjouir. Après tout, c'est plutôt une bonne nouvelle pour le reste du monde.

Avec 2020 Vision, SIEBEN continue de nous emmener dans un univers unique, où boucles hypnotiques et cordes stridentes jettent sur l'auditeur un sort primitif mais néanmoins moderne : les sujets ici sont actuels et l'absurdité de notre monde a fini par avoir raison de l'esprit de Matt Howden. Ce mélange entre le monde réel, la magie incantatoire qui se dégage de la musique et la folie de l'ensemble fonctionne à merveille et 2020 Vision est une nouvelle pépite aussi singulière et précieuse que son auteur.