Chronique | Ottorn - Little Red Riding Hood

Pierre Sopor 14 février 2022

Prenez un vieux manoir de la région de Lyon, ajoutez-y les artistes Nevah (chant), Nimleth (chant, percussions) et Valfeu (chant, luth, guitare, percussions, instruments à vent et programmation), offrez leur de quoi expérimenter (un chaudron et des épées remplacent certaines percussions classiques), saupoudrez le tout d'alchimie et d'un conte de fée, laissez décanter, et vous obtiendrez OTTORN. Le trio sort son premier album, Little Red Riding Hood, relecture alchimique du Petit Chaperon Rouge.

On retrouve la trace du célèbre conte retranscrit par Perrault et les frères Grimm sous différentes variantes en Europe, et ce dès le XIVème siècle en France. Le background est planté : médiéval, sombre, inquiétant. Pour l'alchimie, on veut bien parier qu'on le doit à Valfeu, déjà fasciné par la transmutation des métaux dans son estimable projet dark folk / ambient TAT. OTTORN commence par la morale de son histoire et distille dès le début une atmosphère de mystère et de légendes. Les voix féminines et masculine s'unissent comme le souffre et le mercure, le feu et l'eau (on laisse le trio se disputer le rôle peu enviable du sel, y'a jamais personne qui veut être le sel !), les percussions font monter l'intensité du morceau, les chœurs s'embrasent. OTTORN donne vie à un univers baroque, ancien, mystique et enchanteur. Une certaine épure laisse à chaque instrument, chaque mot, sa place. L'auditeur peut ainsi apprécier la subtilité du travail de sound-design (les lames métalliques de The Girl, accompagnés de percussions martiales, assombrissent l'horizon), qui vient appuyer la dimension narrative et théâtrale du disque.

Faut-il voir dans les grognements de cette voix distordue la présence du Loup ? Parions que oui, bien que le chant de The Wolf, ambiance pesante et lugubre garantie, soit bien plus séducteur car le Loup est aussi tentateur. OTTORN maîtrise ses atmosphères et passe de l'éthérée à la lourdeur terrifiante, ce que l'enchaînement entre The Grandmother et The Mother illustre à merveille : minimalisme, spoken words, chœurs aux airs d'incantation rituelle, borborygmes terrifiants et lignes de chant cristallines se succèdent. Du conte, OTTORN met en avant la noirceur, soulignée par des synthés sinistres et ces rythmiques qui tombent comme autant de funeste présages ou de condamnations. Ce n'est pas pour rien si l'on finit dans la forêt, ce lieu sombre, sauvage, où l'on se perd pour se faire détrousser, où l'on rencontre le Loup.

Cette première virée dans les bois aux côtés d'OTTORN nous émerveille et nous hante grâce à la délicatesse de ses mélanges, de ses associations. Si l'on en apprécie le souffle parfois presque épique qui s'en dégage, ce sont surtout les moments plus intimistes, l'aspect expérimental et menaçant de Little Red Riding Hood qui lui confère une touche magique et sa personnalité unique. On espère que cette expérience aura des suites, car on serait bien curieux de voir où d'autres contes pourraient emmener le trio...