Chronique | Opera Multi Steel - Les Passions tristes

Tanz Mitth'Laibach 22 mars 2023

Après la mort, le désespoir ? C'est en tout cas ce que paraît annoncer la couverture de Les Passions tristes d'Opera Multi Steel, qui succède à D'une Pierre Deux Tombes (chronique). La pochette est en effet orné du magnifique tableau de Pascal Dagnan-Bouveret Marguerite au Sabbat, que l'auteur de ces lignes a pu voir pour la première fois au même endroit que les musiciens, au Musée de Cognac un lendemain de concert ; on y voit Marguerite, l'amante abandonnée par Faust dans l'une des pièces de Goethe, apparaissant au milieu des flammes de l'enfer avec son enfant qu'elle a assassiné au comble du désespoir... Allons bon : on connaît Opera Multi Steel mieux que ça, depuis quarante ans que sévit le groupe de synthpop français aux ambiances médiévales ; on sait que quand bien même l'album est consacré à des sentiments destructeurs, ils seront toujours abordés avec force dérision blasée !

Les Passions tristes nous plonge en effet dans d'étranges états d'esprit, où la mélancolie n'est jamais loin et où pourtant l'on ne cesse de s'agiter à la recherche d'autre chose. C'est que les passions, même tristes, ne manquent pas d'énergie. L'album est dansant, on suit avec entrain la boîte à rythmes et les percussions, largement mises en avant ; comme c'est souvent le cas avec Opera Multi Steel, les nappes synthétiques glissent les unes sur les autres, ici plus aigües et plus douces que les atmosphères lourdes de D'une Pierre Deux Tombes, le chant et les paroles se montrent volontiers joueuses, à l'instar de la flûte qui fait quelquefois irruption, héritée des influences folk-médiévales de Franck Lopez. Le disque est plus rapide et entraînant que son prédécesseur. Mais sous l'énergie et la légèreté apparente, on trouve rapidement l'obsession avec tout ce qu'elle peut avoir de malsaine. Le chant se fait triste et se perd dans la réverbération, les rythmes sont mécaniques, des samples variés confèrent une soudaine gravité à l'ensemble comme le font les interventions de l'orgue sur État de Grâce ou Tombés à Terre, la voix en arrière-plan de Catherine Marie introduit une résonance fantomatique comme c'est le cas sur Dites-nous. Jamais loin, la distance et l'ironie nous empêchent pourtant de tout à fait nous laisser nous perdre dans ces Passions tristes. Elles ressortent parfois dans les paroles quelque peu hermétiques de Patrick L. Robin, éclatent lorsque l'on reconnaît dans D'Arborescences un extrait de la célèbre vidéo "Mais t'es pas net, Baptiste !", cocasse référence culturelle que l'on n'attendait ni d'Opera Multi Steel, ni sur ce morceau ! Ce n'est que l'un des nombreux samples vocaux qui hantent l'album, induisant des décalages qui peuvent être aussi bien amusants que déstabilisants.

Les Passions tristes est donc un univers musical riche. On vagabonde dans la déréliction, pourtant toujours protégé d'elle par une bulle de dérision ; la plongée est plaisante et originale. Un morceau se dégage immédiatement comme le tube de l'album : Le Soleil est parti, avec ses paroles mystérieuses et son électronique à la fois dansante et disjointe, est un petit bijou de décalage. On pourrait aussi souligner le jeu entre la flûte et l'électronique sur Tout en Tous qui est d'ailleurs le seul morceau dont les paroles sont retranscrites, la mélancolie de À nos Moments perdus ou de Les Toiles... Et puis il y a la particularité de Au grand Jamais, morceau sinueux où Catherine Marie assure le chant principal et qui nous renvoie à O Quam Tristis..., side-project puisant dans la liturgie latine qui regroupait les membres d'Opera Multi Steel et Carine Grieg de Collection d'Arnell-Andréa dans les années 2000. Au terme de ce foisonnement, ce n'est pas sans ironie que l'on songe que les passions tristes du groupe ont tout pour nous réjouir.