Chronique | Loki Lonestar - (Un)official Feat

Pierre Sopor 19 février 2018

Loki Lonestar ne fait décidément rien comme personne. Bondissant d'un projet à l'autre, ce chanteur / performer polymorphe qui écume les scènes Parisiennes depuis plus de dix ans avec des concerts plus barrés les uns que les autres passe de l'electro hardcore au metal tribal en un clignement de paupière, et le temps que vous ayez cligné, lui a déjà commencé trois side-projects. Le voilà qui se lance en "solo", sous son propre nom, sur son label tout fraichement créé, TW.

Ce type ne fait rien comme personne. Le suivre est impossible, et d'ailleurs on a arrêté depuis longtemps : on ne peut que zig-zaguer aléatoirement autour de lui en espérant que ça soit à peu près le bon chemin, et qu'il sait vaguement où il va. Prenez comme exemple cet (Un)official Feats, un album de reprises de neuf morceaux. Deux d'entre eux restent secrets et ne seront rendus publics qu'à la sortie officielle de l'album. Mieux encore : quand on lui demande la pochette, il répond "ça sera aussi à la sortie du disque". Mais en attendant, il nous envoie une photo des plus étranges en précisant qu'on doit y ajouter soi-même le fond qu'on veut (du coup, on en utilise une autre hein, parce que photoshop c'est un coup à faire n'importe quoi). Voilà pour le background promotionnel. Avec LOKI LONESTAR, si vous aviez prévu d'être tranquille et de suivre votre routine confortable et ennuyeuse, c'est raté : les zones de confort ont tendance à voler en éclat.

Musicalement, ça se confirme. L'album démarre sur une reprise de Life on Mars, une légende de la musique moderne s'il en est. Pour reprendre un des plus grands titres de DAVID BOWIE deux ans après sa mort, il faut oser. LOKI LONESTAR fait bien plus qu'oser : il convie ses potes Tom Taudis (guitare) et Robin Hill de HeYs à totalement déconstruire le morceau, l'adaptant à sa sauce survoltée, lui apportant un côté rock crado accrocheur moins contemplatif que l'originale. Plus rien n'est sacré et l'outrage est complet quand Loki vocifère en Français des "y a-t-il de la vie sur Mars ?". C'est absolument n'importe quoi. C'est scandaleux. C'est vraiment trop cool. Et si le meilleur hommage que l'on pouvait rendre à DAVID BOWIE était finalement d'aller s'accoupler avec des autruches sur sa tombe ? Et là, quand on voit que plus loin il reprend Hurt de NINE INCH NAILS, on commence à suer. Entre temps, (Un)official Feats prend une direction moins grandiloquente, plus anxiogène et industrielle dès Eye'll Kill You puis Mastermind. Ces deux titres dégagent une noirceur et quelque chose de malsain que l'on n'attendait pas, et permettent aussi d'apprécier le large spectre vocal de Loki Lonestar : de mélancolique il passe aux hurlements menaçants, toujours très expressif, tellement loin au-dessus du too-much et du grotesque qu'il se dégage une forme de poésie et d'énergie toute singulière de son travail. Tel un Ed Wood ou Don Quichotte de la musique, il fonce avec enthousiasme, croit à mort dans ce qu'il fait en dépit de toute logique, cohérence et idée préconçue au point que c'est quand c'est le plus bancal, quand on se dit "Loki, là t'as abusé" que la magie opère le plus. Comme son chant guttural en aspirant l'air de Mastermind, sublimé par la clarinette de celle qui fut son binôme dans TRICKSTERLAND sous le nom de Bloody MC avant d'aller cogner des fûts dans SHEWOLF.

Après la parenthèse plus énervée de Serpent Eyes, sa reprise de RUSSIAN CIRCLES Vilca-Coto (Mladek) est peut-être le pic d'intensité de l'album, synthétisant au mieux ses talents de chanteur. Avec son ouverture très pop-rock et son refrain qui s'emballe, ce chouette grand-huit lui laisse en effet l'espace nécessaire pour exprimer librement toute sa démesure et sa folie. Retour à des sonorités moins dures sur Lucky, son petit fond electro-pop-dubstep sur lequel il couche un chant qui rappelle parfois curieusement celui de MARILYN MANSON au début des années 90, tout en amertume et tristesse. Le mélange fonctionne étonnamment bien, et prouve que Loki Lonestar sait aussi bien se tenir et maîtriser parfaitement sa voix de dingue. Arrivés à ce stade du disque, on est bien embêtés : il reste deux morceaux mystères, et la reprise de Hurt. Allez, va pour Hurt. Attention là, parce qu'il s'agit à priori du deuxième monstre sacré de l'album après Life on Mars et que s'attaquer à ce morceau de NINE INCH NAILS demande d'en avoir dans le ventre. D'autant plus après l'incroyable version de JOHNNY CASH. C'est peut-être pour ça que notre chanteur fou s'efface un peu sur ce morceau, laissant à son compère Carrie Circus le soin de le remixer et invitant deux autres chanteuses pour se partager le fardeau. Alaia et Virginia Fernson de SKINSITIVE pavent donc la route à Loki Lonestar, qui met en scène son arrivée au premier plan après avoir laissé planer son ombre pendant la première moitié du morceau. Ça fonctionne très bien, et on apprécie cette sobriété et cette modestie après les extravagances des précédents titres, si bien que les hurlements dilués à la fin et les chuchotements en conclusion s'inscrivent logiquement dans la durée.

On n'a pas encore tout entendu, il reste deux titres mystères. Pourquoi mystère ? Allez savoir. Avec cet OVNI, ça peut être pour la surprise (imaginez-le donc reprendre, je ne sais pas moi, DIAMS). Ou bien, c'est pour préserver la magie de la découverte et la surprise le jour J. Ou bien parce qu'à une semaine de la sortie de l'album, il n'a peut-être pas encore la moindre idée de ce qu'il va bien pouvoir ajouter comme piste. Et si ça se trouve, d'ici là le disque aura changé de titre six fois et entièrement revu sa tracklist...ça ne nous surprendrait même pas tant que ça. Mais finalement, ce disque de reprises est malin, bien plus malin que ce qu'on pouvait attendre : en reprenant plusieurs titres peu connus du grand public et en invitant d'autres artistes à y participer, il garantit une écoute intéressante de bout en bout, surprenante, variée, éclectique, avec juste ce qu'il faut de classiques pour attirer l'attention... Et, mine de rien, il s'agit d'une synthèse particulièrement pertinente et représentative de tout ce qu'il est et de son talent. Il n'est pas seulement fou, dangereux, intenable et suavement parfumé : il est aussi rusé, l'animal !