Chronique | Lacrimosa - Leidenschaft

Tanz Mitth'Laibach 9 janvier 2022

Cela fait déjà trente ans que LACRIMOSA, alors conduit par Tilo Wolff seul, sortait son premier album Angst. Depuis, le chanteur et compositeur allemand a été rejoint par la chanteuse finlandaise Anne Nurmi comme noyau du groupe, a ajouté à sa darkwave néoclassique des guitares saturées qui ont fait de lui un pionnier du metal symphonique, a suscité l'engouement aussi bien que l'agacement dans le public gothique mais sans jamais perdre ce qui faisait l'essentiel de sa formule : son lyrisme désespéré, son chant le plus souvent en allemand, ses orchestrations massives et inquiétantes, ses longs morceaux aux structures très élaborées, les magnifiques illustrations de Stelio Diamantopoulos et l'usage on ne peut plus sérieux de clichés gothiques pourtant éculés ! On a donc une bonne idée d'à quoi s'attendre en se penchant sur le dernier album du groupe Leidenschaft, sorti la veille de Noël 2021. Qu'on aime ou non, on est par avance sûr d'une chose : un album de LACRIMOSA est toujours très travaillé, donc intéressant. Intérêt renforcé par le fait que le disque précédent Testimonium (chronique) était l'un des plus réussis à ce jour, somptueusement pesant.

Leidenschaft ne poursuit pourtant pas dans la même voie : l'album est plus léger que son prédécesseur. Les guitares aussi bien que les orchestrations sont plus rapides, leur rythme évolue davantage au fil des morceaux, les sonorités sont plus aiguës, plus de place est donnée aux nappes de synthétiseur qui nous emportent parfois dans des moments planants : en un mot, l'album est plus vivant, là où son prédécesseur restait figé dans la tristesse et l'amertume, pétrifié par la contemplation de la mort. C'est que si Testimonium ("témoignage") était un requiem consacré aux personnalités mortes en 2016, d'une lourdeur accablante comme l'est le deuil, Leidenschaft signifie quant à lui "passion", avec sa connotation originelle d'engagement jusqu'à la souffrance ; or cet état d'esprit s'exprime d'une manière différente chez LACRIMOSA. Nous vivons donc la passion avec ses moments d'emportement traduits par l'emballement des guitares, d'adoration contemplative dans la caresse d'un violon ou de douces nappes de synthétiseur, mais aussi et surtout de brusques déchirements avec les soudaines explosions de violence désespérée mêlant riffs incisifs à la puissance massive des samples d'orchestre !

On revient ainsi à une formule plus classique des albums de LACRIMOSA, proche de ce que le groupe a pu faire par exemple sur Elodia, mais avec un recours plus intense que jamais aux crescendos, qui émaillent la structure de la plupart des morceaux de l'album. Et ça fonctionne ! On est certes en terre connue, avec des ficelles que le groupe utilise depuis Inferno quand ce n'est pas depuis toujours, mais la construction des morceaux et les sonorités sont suffisamment riches pour qu'on s'y laisse prendre à nouveau, d'autant que le chant de Tilo nous transmet une puissante palette d'émotions et que la voix fantomatique d'Anne Nurmi nous fait toujours cet étrange effet à la fois inquiétant et touchant.

On n'échappe cependant pas à quelques ratés, comme c'est toujours le cas avec LACRIMOSA. Témoin le fort douteux Kulturasche, en troisième position : LACRIMOSA n'est jamais convaincant quand il essaie de sonner trop rapide et trop metal, et c'est encore le cas ici. La ballade The Daughter of Coldness, chantée par Anne Nurmi, semble quant à elle rester dans un entre-deux qui ne nous satisfait pas entièrement. Die Antwort ist Schweigen est pour sa part un nouvel exemple de ces ballades où le chant mélancolique de Tilo Wolff est accompagné seulement du piano et de quelques sonorités électroniques : c'est très beau, certes, mais on finit par trouver le temps long. Et comme toujours, nous avons aussi et surtout notre lot de morceaux qui nous ravissent. Au chapitre des ballades, Celebrate The Darkness est une perle, le duo entre Anne et Tilo, le sample d'orgue et le crescendo lui conférant une ambiance délicieusement sombre ; on goûte aussi particulièrement l'abandon dans lequel nous entraîne Führ mich nochmal in den Sturm, les pincements anxiogènes de Augenschein ou encore la splendeur du traditionnel long morceau de fin, les huit minutes de Exodus.

LACRIMOSA est donc égal à lui-même : on ne peut pas recommander l'album à celles et ceux qui n'aiment pas le groupe d'ordinaire, on peut s'agacer de l'effusion de sentiments, du maximalisme des compositions et de l'esprit très premier degré ; mais la richesse et la maîtrise sont réels et pour qui aime le groupe, il s'agit à nouveau d'un bel album, qui nous fait ressentir une fois de plus la puissance que l'on aime depuis tout ce temps chez LACRIMOSA.