Chronique | Lacrimosa - Testimonium

Pierre Sopor 12 septembre 2017

Avec LACRIMOSA, on sait qu'on ne doit pas s'attendre à une musique respirant franchement la joie de vivre, et alors que le duo approche la trentaine d'années d'activité, rien ne semble indiquer que les choses vont s'améliorer. Avec un treizième album (les superstitieux apprécieront) à l'artwork toujours aussi baroque et travaillé baptisé Testimonium, que l'on traduirait instinctivement par "testament" mais signifie en fait "témoin" (les deux mots n'étant pas si éloignés que ça), LACRIMOSA nous propose une nouvelle succession d'hymnes funèbres remplies de mélancolie, d'envolées symphoniques et de riffs de guitare toujours plus lourds.

Testimonium est un album avec un concept particulier, rendu explicite par le premier titre, Wenn Unsere Helden Sterben ("quand nos héros meurent") : le disque rend hommage à la pléthore d'artistes morts en 2016, qu'il s'agisse de musiciens comme DAVID BOWIE (dont on sait que Tilo Wolf est un grand fan), LEONARD COHEN et PRINCE ou des actrices Carrie Fisher et Debbie Reynolds. D'emblée, si l'hommage est bien-sûr sincère, cela place Testimonium dans une situation particulière : comme d'habitude, le goût exacerbé de LACRIMOSA pour le macabre et la tristesse flirte avec un too-much dont le second degré (voulu ou non) transparaît plus dans les mimiques de son chanteur que dans les textes. Ce long requiem s'étale donc sur dix morceaux, divisés en quatre actes. Le début peut surprendre, le premier titre commence en effet sur un son de morceau se terminant en live. La voix de Tilo Wolff, accompagnée d'un piano semble ensuite très proche, créant une atmosphère d'intimité et laissant petit à petit le morceau s'installer. Quand les guitares se mettent en action, on se souvient que LACRIMOSA est loin de renier son orientation plus metal. N'en déplaise à certains fans parfois sceptiques, c'est maîtrisé. L'orchestration donne une teinte épique au morceau lors de refrains toujours très démonstratifs, et le résultat est efficace et convaincant. Sur Nach dem Sturm, l'ambiance se fait plus pesante et funèbre (pour un peu, on penserait au titre Shakal) alors que les guitares lorgnent du côté du doom. Zwischen allen Stülhen vient dynamiter tout ça avec son rythme enlevé en démarrant un deuxième acte marqué par la brutalité de Weltenbrand aux velléités proches du black metal avec ses guitares furieuses pendant que Wolff hurle à la lune.

Et alors que le deuxième acte s'achève sur la très belle Lass die Nacht Niht Über mich Fallen et son orchestration en apothéose évoquant le boulot de Clint Mansell sur The Fountain, on est rassurés : Testimonium est un bon crû, plus séduisant et subtil que le précédent Hoffnung, laissant au duo démontrer sa maîtrise de différents genres, entre metal gothique et darkwave, et sa capacité à créer des ambiances élégantes et riches si distinctives. Il y a même un hymne fédérateur assez amusant (Herz und Verstand) qui donnera aux marins fans de LACRIMOSA (ça existe ?) un truc à fredonner en mer. Certes, les parties les plus metal ne sont pas toujours des plus abouties (Black Wedding Day ne brille pas par l'originalité de ses riffs) mais apportent un mordant indéniable à la musique des allemands, qui réussissent à éviter les fautes de goût tout au long de l'album (sauf peut-être sur My Pain). Le morceau titre en conclusion, du haut de ses impressionnantes dix minutes, est tout particulièrement marquant avec sa lourdeur, la lenteur et la noirceur qu'il dégage. Il faut dire qu'on commençait à prendre nos aises et trouver ses funérailles un peu trop chaleureuses. Il devenait urgent de plomber un dernier coup l'atmosphère. 

Testimonium est une illustration de ce que LACRIMOSA peut faire de mieux. Avec Tilo Wolff qui contrôle son chant et évite de (trop) en faire, des atmosphères délicieusement macabres, des parties symphoniques toujours très élaborées et quelques guitares bien lourdes pour épicer le tout. Une belle oeuvre, une fois encore, à l'esthétique sonore travaillée et qu'il serait dommage de bouder.