Chronique | Krate - Swarm of Voices

Pierre Sopor 3 avril 2019

L'association de Chris Shortt (VERIN) et de Roland Zwaga (ACIDRODENT, CONSTRUCT) donnant naissance à KRATE est longtemps restée mystérieuse : entre l'annonce de la naissance du projet et les premières informations, de nombreux mois se sont écoulés. Seuls quelques mots décrivaient ironiquement KRATE jusque là : "this is not dark ambient", alors que l'objectif initial était bel et bien de se lancer dans un projet dark-ambient. Rapidement, des éléments rythmiques se sont ajoutés, les structures se sont complexifiées et les collaborateurs (dont la plupart travaillent avec l'illustre label Audiotrauma) se sont empilés jusqu'à ce que Swarm of Voices arrive jusqu'à nos oreilles.

Un "essaim de voix", voilà ce que nous promet ce premier album. Schizophrène, KRATE ? Pas tant que ça. Multiples, par contre, ça oui. La prestigieuse liste de guests promet un large panel de sonorités, couvrant une bonne partie du spectre des musiques industrielles. La première voix à se faire entendre est celle d'Ophelia the Suffering d'ECSTASPHERE, accompagnée d'une guitare mystérieuse et anxiogène. Liquid Light propose une ouverture mélancolique à l'intensité progressive, permettant à KRATE de nous plonger en douceur dans son univers. Les choses prennent un tournant bien plus étouffant avec Feed Me et les basses oppressantes de NOIRE ANTIDOTE, qui délaisse pour un temps ses mélodies funèbres. De ce magma sonore, la voix de Caitlin Stokes (CORLYX) émerge tel un phare dans les ténèbres. La chanteuse fait d'ailleurs partie des fils rouges de l'album avec ses trois apparitions, liant les titres et garantissant la cohérence de Swarm of Voices.

C'était la plus grande crainte : qu'à passer d'un morceau noise / ambient comme Feed Me à un plus typé dark-electro de Confidence Man, le chant de Kalle Lindberg de CARDINAL NOIRE oblige, pour ensuite revenir vers quelque-chose comme The Register et ses refrains très pop noyés dans un brouillard de nappes atmosphériques, on finisse par s'y perdre. C'est là que Swarm of Voices évite justement le piège de la schizophrénie : l'ensemble se tient. Ça se joue à des détails, des textures sonores communes, l'usage parcimonieux de la guitare et la volonté, toujours, de nous emmener vers cette base dark-ambient hantée, presque cinématographique d'où s'extirpent des voix souvent lointaines et fantomatiques. On remarque d'ailleurs que les artistes invités s'amusent à nous surprendre en sortant de leurs zones de confort : on a déjà parlé des mélodies de Benjamin Schoones qui brillent par leur absence, mais CORVAX ou MOAAN EXIS ont tout aussi bien joué le jeu en se pliant à l'univers de KRATE, s'éloignant de la frénésie qu'on leur connaît habituellement. L'ambiance de A Deeper Pain est d'ailleurs particulièrement marquante avec sa guitare menaçante et ses nappes hypnotiques. Quand le talent se met au service d'une cause commune, il n'en brille que d'avantage et permet d'éviter un côté patchwork qui aurait pu nuire à ce premier album.

Swarm of Voices est à la fois un album cross-over, qui porte en lui l'empreinte artistiques de plusieurs musiciens, une caisse remplie de voix et d'âmes différentes qui nous sautent aux tympans quand on l'ouvre et un disque qui pose les bases d'un nouvel univers, celui de KRATE, fait bien sûr d'apports mais dont l'identité affirmée n'est jamais affaiblie par la richesse et la variété de l'ensemble.