Chronique | John Carpenter - Anthology (Movie Themes 1974-1998)

Pierre Sopor 23 octobre 2017

Fidèle à son image de mec rock'n'roll qui ne mâche pas ses mots, Big John aime répéter à qui veut bien l'écouter qu'il n'est qu'un vieil homme qui s'éclate désormais bien plus en faisant de la musique qu'en réalisant des films. En sa qualité de vieil homme il demande juste qu'Hollywood lui donne tout plein d'argent en produisant des remakes de ses chefs-d'oeuvre pour qu'il puisse continuer à jouer aux jeux vidéos et faire de la musique. Nous, ça nous va. Surtout que les deux premiers albums de JOHN CARPENTER, Lost Themes I & II, étaient plus excitants que ses derniers travaux derrière la caméra.

Ces deux premiers disques étaient composés de morceaux qui auraient pu faire partie d'une bande-son d'un film. En live, JOHN CARPENTER joue donc ses nouvelles compositions mais également ses anciens thèmes qui accompagnent les films qu'il a réalisés. Il était donc inévitable qu'un nouveau disque rende hommage à ces mélodies mythiques, d'autant plus que la présence d'un groupe donnait à ces titres un nouveau lustre. C'est donc sous la forme de cet Anthology qui sort à temps pour Halloween que JOHN CARPENTER nous propose de redécouvrir ses thèmes les plus marquants, ré-enregistrés pour l'occasion. Et comme rien n'évoque plus un bon après-midi pluvieux sous la couette que quelques notes de synthés accompagnant la mention "Directed by John Carpenter" au générique de début, c'est avec un réel plaisir qu'on se plonge dans cette anthologie... Le disque commence de manière assez musclée avec In the Mouth of Madness : le réalisateur avait en effet souhaité travailler avec METALLICA pour la bande-son du cauchemar lovecraftien qu'est L'Antre de la Folie. Ça n'a pas abouti, mais le morceau final évoque de manière assumée Enter Sandman. Avec Assault on Precinct 13, le rythme ralentit et la musique est plus claustrophobe, à l'image du huis-clos de 1976. Inspiré en partie par LED ZEPPELIN et samplé plusieurs fois par la suite, le thème d'origine est tout à fait respecté par cette version plus moderne qui en accentue l'aspect oppressant. 

Les morceaux composés par John Carpenter pour ses films s'illustrent toujours par un certain minimalisme et une efficacité redoutable, résultat d'une économie de moyens : un synthé, un peu de guitare, une poignée de notes, c'est simple et mémorable. Ces nouvelles versions apparaissent donc comme des versions plus fortunées des morceaux originaux, où les différents instruments ont droit à plus de présence. Mais il n'y a rien à craindre : ils gardent tous la même puissance d'évocation, et The Fog est là pour nous en convaincre. Si le film n'est pas dépourvu de quelques maladresses d'un réalisateur encore jeune, son thème musical est par contre une de ses plus grandes réussites. Il y a des mélodies comme ça qui tout de suite évoquent la peur et THE VISION BLEAK l'avait bien compris en en proposant une reprise toute en guitares. Le thème de Halloween fonctionne de la même manière : une mélodie simple et efficace (composée en moins d'une heure dit la légende) mais un impact énorme. Et alors que Trent Reznor et Atticus Ross en signait une excellente reprise il y a quelques jours, JOHN CARPENTER nous en offre une nouvelle version boostée, plus intense que l'originale. Il faut dire que The Fog et Halloween sont deux des meilleurs moments de ses concerts : alors que l'obscurité envahit la salle, que la fumée sort de la scène et que les mélodies retentissent on se souvient tout ce que le cinéma doit à ce petit vieillard moustachu et grognon, auteur de facilement une dizaine d'oeuvres dont le culte dépasse le cadre du cinéma (des tee-shirts Obey, ironiquement devenu de véritables symboles capitalistes, jusqu'aux tueurs masqués, en passant par les jeux vidéos Metal Gear son impact culturel n'est pas à démontrer).

Mais réduire la carrière musicale de John Carpenter aux thèmes de The Fog ou Halloween serait aussi réducteur que de limiter sa carrière de réalisateur à New-York 97 et The Thing. Des morceaux plus décontractés viennent nous le rappeler. Et même si Escape From New York, Porkchop Express ou They Live sentent toujours le gros dur façon Kurt Russell (et pour cause...), ils apportent une touche rock'n'roll plus légère à cette anthologie. Il faut dire qu'avec Prince of Darkness, on étouffait : opaque et poisseux, le thème est aussi cauchemardesque et malade que l'incroyable chef-d'oeuvre dont il est tiré. Dans le genre pesant, le thème de The Thing composé à l'époque par Ennio Morricone avec ses nappes de synthés anxiogènes rappelait tellement le travail de Carpenter qu'il a fini par totalement se l'approprier, et c'est tant mieux. Idem pour le thème de Starman, composé à l'origine par Jack Nitzsche, plus romantique et dispensable en comparaison de Dark Star, délire SF et premier long-métrage du réalisateur. Pas de thérémine (ouf !) mais une vraie ambiance spatiale posée en même pas une minute et demi. Comme les concerts de JOHN CARPENTER, Anthology s'achève sur Christine dont le thème rappelle que toute la scène synthwave lui doit tant. Facétieux, Big John mettait en garde son public en fin de show : "rentrez bien, et attention : Christine pourrait roder au coin de la rue".

Dire qu'on a découvert les talents de musicien de John Carpenter récemment serait faux : ça fait plus de quarante ans que sa musique inspire et traumatise un large public. Mais en embrassant pleinement sa carrière de musicien, JOHN CARPENTER a démontré avec ses deux premiers albums qu'il était toujours capable de sortir de gros hits (Vortex ou Distant Dream). Aujourd'hui, en dépoussiérant ses thèmes mythiques, il nous rappelle l'importance de son génie, capable avec deux notes de synthé de donner des sueurs froides et ses talents d'équilibriste qui s'amuse avec les limites du kitch sans jamais être ridicule. Et même si cette anthologie oublie quelques thèmes mineurs (les guitares très heavy de Ghosts of Mars, par exemple), l'essentiel y est. Mieux encore, on a récemment appris que Carpenter signera lui-même la bande-son du prochain Halloween...  Merci pour les cauchemars Johnny, et vivement la suite !