Chronique | Ice Ages - Coma

Pierre Sopor 12 décembre 2023

Qu'est-il arrivé à Richard Lederer ? L'artiste autrichien, autrefois si rare (il n'y avait eu que trois albums entre 2000 et 2019) enchaîne désormais les sorties au rythme d'un album tous les deux ans. On ne va pas se plaindre de cette nouvelle vague de froid, Coma faisant donc suite à Vibe of Scorn et fond sur nous par surprise, son auteur ayant ancré sa démarche dans une espèce de spontanéité qui s'affranchit des traditionnels cirques promotionnels.

Le son est familier, l'univers n'ayant pas subi de changement radical. Les morceaux sont longs et d'une lenteur hypnotique, l'atmosphère est glaciale et, fidèle à lui-même, Lederer n'a toujours pas l'intention de vous faire danser. Pourtant, dans la suite logique de ses travaux plus récents, on note que la lumière traverse plus facilement la banquise et que le son est moins menaçant qu'il y a une vingtaine d'années. Ice Ages est moins opaque, à l'image de la surprenante The World Abides : les émotions dégagées par le chant sont plus nuancées, douces-amères, et la mélodie y est presque rassurante, s'éloignant de l'industriel martial intransigeant pour se rapprocher un brin de la synthpop. Le chant n'a d'ailleurs jamais paru si libéré du poids de l'existence qui l'accablait autrefois que sur Self Exiled : Ice Ages ne fait peut-être pas dans le frivole mais n'a jamais été si léger (tout est relatif).

Coma contient aussi son lot de passages monolithiques et imposants : l'implacable Euthanasia et sa sinistre lenteur (et un synthé en intro qui rappelle un brin Suicide Commando, que Lederer rangerait probablement dans l'eurodance), la menace insidieuse d'Idol ou la conclusion sur Tranquility ont toute la pesanteur d'un destin funeste inévitable et forment les zones d'ombre les plus impénétrables d'un ensemble où la contemplation mélancolique se fraye une place toujours plus importante (Promising Demise). Malgré ça, Ice Ages garde sa saveur souterraine, cette touche futuriste pessimiste, cette texture qui évoque le metal froid (forcément), la nuit, les profondeurs et l'absence d'issue. Ceux qui sont d'ailleurs insensible à cet engourdissement progressif et hypnotique seront immédiatement perdus : Ice Ages ne vise ni l'efficacité immédiate ni l'accroche facile.

Coma est le digne successeur de Vibe of Scorn, ce que leur proximité dans le temps explique assez facilement. En accélérant le rythme de ses productions et en communiquant au sujet de leur conception via les réseaux sociaux, Lederer a cassé son image de créature mystérieuse, secrète et misanthrope qui ne sortait son projet de la chambre froide qu’occasionnellement. Son chant n'a jamais été aussi expressif et la palette d'émotions aussi variée. Comme le dit l'artiste : s'il devait faire quelque chose de trop différent, il le ferait sous un autre nom... mais hors de question de stagner pour autant. Ice Ages ne fait plus frissonner exactement de la même manière mais garde sa singularité tout en restant un bon palliatif à une météo insupportablement douce.