Chronique | Hypno5e - Alba, les Ombres Errantes

Pierre Sopor 24 avril 2018

HYPNO5E a mis le temps, mais la petite bande d'Emmanuel Jessua revient enfin à ses amours acoustiques. Autrefois sous le nom du side-project A BACKWARD GLANCE ON A TRAVEL ROAD, le groupe originaire de Montpellier nous faisait découvrir une musique unplugged à l'image de leurs compos metal : subtile, riche, imprégnée d'influences cinématographiques mais dénuée de distorsion pour un résultat plus atmosphérique encore. C'était évidemment sublime, et du coup on désespérait un peu : aucune nouvelle depuis 2011, ça commençait à faire long. Et soudain, Alba, les Ombres Errantes fut annoncé : un nouvel album acoustique, sorti sous le nom de HYPNO5E cette fois-ci, mais aussi un film dont le disque serait un accompagnement. Voilà qui promet.

Il est donc temps de souhaiter la bienvenue aux fans d'HYPNO5E qui n'étaient pas encore familiers de leur facette acoustique, mais aussi de se rendre à l'évidence : cette résurrection de A BACKWARD GLANCE ON A TRAVEL ROAD n'en est pas vraiment une : ce n'est en aucun cas "un regard en arrière". Ce nouvel album n'est en rien une redite de l'album de 2011. Il faut tout d'abord faire le deuil des samples de "vieux" films à la HYPNO5E, mais aussi de ce piano affolant qui apportait au projet une intensité si particulière : Alba, les Ombres Errantes propose un nouvel univers, un nouveau concept, quelque chose de plus introspectif, plus fantomatique même. On y retrouve les influences Latines déjà très présentes sur Shore of the Abstract Line, Jessua situant son histoire en Bolivie, pays où il a grandi et dont l'histoire et les cultures le fascinent. Il y est question de deuil, celui d'une mère mais aussi de son enfance, ainsi que d'une forme de voyage initiatique. 

Dès Who Wakes Up from this Dream Does Not Bear my Name, on est saisi par la mélancolie de l'oeuvre, omniprésente, mais aussi par les ressemblances que l'on décèle avec HYPNO5E, aussi bien dans les structures des morceaux que dans le son de batterie, pourtant plus légère : c'est flagrant quand le rythme s'emballe, par exemple dans Night on the Petrified Sea. On est donc vite rassuré : non seulement Alba, les Ombres Errantes a une identité sonore forte, mais à aucun moment le passage à l'acoustique ne signifie une perte d'intensité ou de richesse pour HYPNO5E. Les morceaux sont longs (l'album fait 75 minutes pour 10 titres) et son écoute s'apparente à un voyage aussi pour l'auditeur. Les voix de vieillards au début de Cuarto del Alba confère un aspect presque mystique au morceau, un des plus marquants de l'album, avec son refrain hypnotique et sa dernière partie onirique en spoken words accompagnés juste d'une nappe pour l'ambiance. La magie opère alors qu'on se laisse guider par cette oeuvre à la fois poétique, ethnique, intimiste et narrative où le français, l'espagnol et l'anglais se succèdent et où le groupe n'hésite pas à utiliser des silences comme d'un instrument supplémentaire (par exemple à la fin de la transition Agua). Ces silences, à l'image des grands paysages désertiques Boliviens, incitent à la contemplation et ne font que mieux ressortir les instruments et voix qui viennent les briser. Alba, les Ombres Errantes n'est cependant pas qu'atmosphérique : des titres comme Cuerto del Alba, Los Heraldos Negros, The Wandering Shadows ou Calling sont souvent plus tumultueux et accrocheurs, avec des côtés très rock progressif, et renforcent cette impression qu'on a d'écouter une suite de Shores of the Abstract Line (justifiant peut-être l'abandon du nom A BACKWARD GLANCE ON A TRAVEL ROAD, à moins que ça ne soit pour plus de visibilité). Light of the Desert and the Shadows Inside, qui conclue l'album, est un adieu d'un quart d'heure, qui malgré sa césure anxiogène en plein milieu termine l'album avec grâce, sur les mots récités par Jessua.

Alba, les Ombres Errantes est une nouvelle oeuvre marquante dans la discographie de HYPNO5E, un travail d'orfèvre unique mais cohérent par rapport aux précédents albums du groupe. Toujours aussi riche et élégante, la musique gagne en onirisme et introspection là où elle perd en viscéralité. Le choix de l'album acoustique se justifie par son sujet, à la fois quête initiatique d'un homme mais aussi retour à ses racines. C'était très beau, et HYPNO5E ayant prévu de sortir un nouvel album pour l'an prochain, on ne peut que saluer la créativité toujours fascinante du groupe.