Chronique | Hinterwelt - In Silico

Pierre Sopor 22 mai 2020

Si In Silico est le premier album d'HINTERWELT, l'homme derrière le projet n'en est pas à son coup d'essai. Renaud-Gabriel Pion, multi-instrumentiste, a notamment collaboré avec DEAD CAN DANCE et SIOUXSIE & THE BANSHEES dans les années 90 et on le retrouvait plus récemment dans ATONALIST, en duo avec Arnaud Fournier (HINT) et Gavin Friday des VIRGIN PRUNES. Bref, une carrière et un CV costaud, tout comme les compétences de l'artiste qui affectionne les cuivres (clarinette basse, saxophone...) et les expérimentations électroniques, n'hésitant pas à flirter parfois avec la musique savante.

Tout ce background, on le retrouve dans In Silico, où se côtoient des influences européennes et asiatiques et où l'alchimie entre l'organique et les machines tisse le décor d'une cité retro-futuriste sombre et déshumanisée. Cet esprit urbain, à l'humeur d'un film noir et au parfum de mystère, on l'a dès les premières notes de Zeitgeist et ses cuivres lynchéen. S'il est là, l'esprit de notre époque, alors nous vivons des heures bien mélancoliques. Petit à petit, l'électronique vient parasiter le thème principal pour apporter une composante quasi cyberpunk. In Silico perd régulièrement son auditeur dans ses méandres tentaculaires : les mélodies y sont parfois déstructurées et il faut alors s'accrocher à quelques nappes atmosphériques comme seuls points de repères alors que les distorsions électroniques apportent leur lot de perturbations.

In Silico foisonne de détails, de surprises. Il y a les émotions qui jaillissent au travers des éléments les plus organiques (ici un piano, là un cuivre, ou encore la voix de Lisa Papineau sur Radiance, oasis d'humanité au sein d'un ensemble uniquement instrumental), il y a ce rythme qui se dérègle dans Cyborg et évoque avec quelques percussions et un étrange piano toute une machine défectueuse, les ambiances orientales qui apportent leur part de brumes mystérieuses et d'anachronisme (Doppelgänger, Neo-Tokyo) et puis il y a ces mélodies minimalistes qui restent en tête (Zeitgeist, Tala, ou celle, plus sinistre, de Gorgo). L'ensemble, lui, a la puissance d'évocation d'une bande-son d'un film imaginaire, quelque part entre Metropolis et Blade Runner.

L’œuvre demande un temps d'adaptation : il faut se laisser bercer par son rythme, ses richesses et ses surprises pour pleinement s'y perdre et profiter du voyage. On est finalement surpris par la poésie qui se dégage de cet ensemble, mélancolique et tout en retenue, mais aussi quelque chose de presque ethnologique. La métropole du future qu'est In Silico est certes froide mais également cosmopolite et l'on trouve dans cet ensemble de voix et de cultures une forme de réconfort, un peu de chaleur. L'altérité, l'originalité et l'exigence ont d'ailleurs toujours été défendues par le label audiotrauma qui, bien que vivant ses dernières heures, continue avec HINTERWELT de mettre en avant des créations singulières, inattendues et pointues.