Chronique | Heretoir - Nightsphere

Maxine 6 octobre 2023

Après avoir sorti une version remastérisée de leur premier album éponyme en février, qui retranscrivait magnifiquement le thème de la perte en mélodie, et le mini album Wastelands en mai, le groupe allemand Heretoir combinant black metal et shoegaze qui a su ces dernières années se faire une place sur la scène metal atmosphérique grâce à de nombreuses tournées et performances réussies, est de retour dans l'actualité avec la sortie le 6 octobre de son troisième album : Nightsphere. Il s'agit de leur premier opus a être entièrement écrit par le groupe au complet, apportant les contributions de chaque membre (notons aussi une contribution à l'écriture de Hannes Stoltenburg alias Hidehidehide sur deux morceaux instrumentaux). Si The Circle sortait en 2017 avec une sublime pochette réalisée par Fursy Tessier, celle de Nightsphere est une œuvre de Karl Wilhelm Diefenbach, un peintre symboliste allemand (1851-1913) appelée The Fairy Dance, qui situe très bien l'ambiance nocturne qui va se tisser au fur et à mesure de l'écoute.

Sanctum - Nightsphere Part I commence en douceur et nous emmène dans un monde désolé : le ton est donné, cet album sera une ode à la Nature dans un futur littéralement dévasté par le progrès. Un homme se fraye un chemin dans le chaos, et semble contempler un désastre en se tournant vers la "déesse-mère" Gaïa (personnification de la terre, qui selon la mythologie grecque créa le ciel pour s'unir à lui). Les cris traduisent une prière désespérée. Les notes accompagnent sa nostalgie et son affliction nous emmenant avec lui. Twilight of the Machines, en collaboration avec Tim Yatras (Austère), monte en intensité, la guitare tourbillonne telle une tempête quand la batterie elle, garde un rythme plus contenu mais déchirant, le tout recherchant un équilibre dans un monde proche de l'apocalypse devenu fou par le vide. Les machines, allégorie d'un progrès aliéné et d'une technologie développée à outrance qui nous empêche de nous reconnecter à l'essentiel en vivant en harmonie dans notre milieu, sont géantes et nous aspirent. Les paroles sont inspirées par le livre In Search of the Primitive: A Critique of Civilization de Stanley Diamond, critique à l’égard de la discipline qu’est l’anthropologie et de la civilisation qui a produit cette discipline, cherchant à s'éloigner du point de vue occidental qu'il considère comme auto-centré, rejetant par conséquent l'association "évolution et progrès" ou encore "domination et progrès". Après cette bourrasque émotionnelle et réflective, Pneuma sonne comme une interlude contemplative. Le ton est apaisant et prend le temps d'une reconnexion à l’environnement. Des notes de piano célestes se frayent un chemin dans le brouillard, à la fois perdues et angoissées, à la fois douces et méditatives. Glacierheart - Nightsphere Part II (morceau sur lequel on note l'apparition au chant de Nikita Kemprad - Der Weig Einer Freiheit) nous réveille avec force pessimisme et poésie. Les paroles, percutantes, sont d'une beauté qui rend parfaitement hommage au Monde, à l'Univers tout entier mais surtout à chaque élément, à chaque espèce qui nous entoure. La mélodie est lourde même si parfois douce (ce qui laisse de la place à l'introspection de l'auditeur), le chant plaintif, et notre espoir s'envole une bonne fois pour toute lors de son épique conclusion. Les cinq titres forment un espace si sombre et dense, à la fois si loin et si proche de nous, qu'on se dit que The Death Of Man sonne comme le glas de ce qui nous attend peut-être bientôt et clos cette sphère nocturne avec splendeur.

Si l'immense travail sur cet album se fait ressentir du début à la fin, ce dernier n'en reste pas moins accessible (avec néanmoins une certaine attention), ce qui permet déjà une transmission plus clair du message porté mais aussi d'entrer dans l'univers d'Heretoir dès la première écoute en apprenant très vite à l'apprécier. Si la beauté de cet œuvre reflète comme un miroir la beauté de son sujet, espérons que la fin de celle-ci ne soit pas le miroir de notre propre fin. En attendant, on se plonge encore et encore dans les ténèbres de Nightsphere revivant ce chaos à l'infini en compagnie de ses fantômes, pour notre plus grand plaisir.