Chronique | Emigrate - The Persistence of Memory

Pierre Sopor 17 novembre 2021

Quand Richard Zven Kruspe lançait EMIGRATE en 2005, on sentait sa volonté de s'exprimer autrement que chez RAMMSTEIN, un choix qui prend son sens en constatant le rythme de parution des teutons pyromanes. Quinze ans et désormais quatre albums plus tard, on a cerné l'identité d'EMIGRATE : un projet divertissant cherchant l'efficacité avec des tubes rock formatés pour une digestion rapide.

Le précédent album d'EMIGRATE, A Million Degrees, date de 2018 : trois ans c'est suffisant à la fois pour s'en lasser et l'oublier. Entre temps, RAMMSTEIN sortait Deutschland et on pouvait espérer qu'une nouvelle escapade en solo permettrait au guitariste de se lâcher, libre de la bride de ses compères. Avec The Persistence of Memory, Kruspe se livre à un exercice intrigant : planter les bases du futur de son projet en revisitant différents titres plus ou moins écrits au cours des deux décennies passées. Faire du neuf avec du vieux et annoncer l'avenir en fouillant dans le passé. On note par exemple une nouvelle version de Hypothetical, appuyant la disgrâce de Manson, guest sur ce morceau à l'époque de Silent So Long, ou la présence de Freeze My Mind, un titre prévu pour figurer sur le tout premier album du groupe.

Musicalement, on déchante très vite : Kruspe ne révolutionne pas franchement sa formule. Si l'ensemble manque sévèrement de charisme et de densité, on en retient quelques hits rock indus calibrés (Freeze My Mind, I Will Let You Go) qui passeront bien dans une ou deux playlists, malgré leur manque d'aspérités. Malheureusement, on doit aussi se cogner d'insipides niaiseries (Come Over) ou des tentatives peu convaincantes de varier les plaisirs, comme une reprise d'Elvis Presley avec Till Lindemann qui, loin d'apporter de l'ampleur, se vautre dans un mélange bancal d'electro simpliste et de touches orchestrales pas assez appuyées pour souligner le chant théâtral du frontman de RAMMSTEIN.

Emballé, c'est pesé. Neuf titres de trois à quatre minutes à l'électronique fade et aux guitares peu inspirées qui essayent avec peine d'apporter un peu de corps à tout ça, le tout soutenu par un chant trop lisse et manquant cruellement de personnalité. Alors oui, c'est propre et on a entendu pire. Mais au moins, quand c'est vraiment nul, on s'en souvient. Le défaut d'EMIGRATE est de ne pas réussir à pleinement se démarquer de RAMMSTEIN, tout en rappelant (comme les aventures de Till en solo, d'ailleurs), que le célèbre groupe est le fruit d'un travail collectif. Avec sa courte durée, ses recyclages d'anciens titres sortis de vieux tiroirs, son guest qu'il n'a pas fallu chercher bien loin et la paresse de ses titres qui se limitent à des boucles répétitives et des refrains que l'on pouvait quasiment chanter sans les avoir entendus avant, ce nouvel EMIGRATE donne au mieux l'impression d'un EP artificiellement gonflé en album, au pire celle qu'on se paye un peu notre tête.

Trop lisse pour les amateurs de son rugueux et trop fainéant dans ses formules electro-pop, The Persistence of Memory laisse malheureusement encore une fois l'impression qu'EMIGRATE se repose avec facilité sur le nom de son auteur. On aurait préféré qu'il assume pleinement de s'éloigner radicalement de ses zones de confort, ou au contraire qu'il se vautre dedans et propose un truc jouissif et bas du front... Tout sauf cet entre-deux mou et bâclé auquel il manque aussi bien une intention qu'une étincelle de folie.