Chronique | Dark Supreme - Down the Drain

Pierre Sopor 22 mars 2024

Quand le Dark fait ce que le Dark fait le mieux, c'est Dark Supreme ! Cette honteuse paraphrase des Deathstars ne donne pas forcément le ton de l'EP Down the Drain... ni d'ailleurs la présentation que fait l'artiste de son travail : "un mec merdique bloqué dans le passé, qui fait de la musique merdique et des vidéos VHS pourries et vient d'une ville merdique". La ville en question, c'est Besançon. Pour le reste, Jérôme Josselin alias Joss est également derrière le label Impure Muzik, guitariste du groupe de rock instrumental Féroces et membre du groupe de screamo du début des années 2000 Gantz. Avec Dark Supreme, ses facettes les plus sombres et sa cinéphilie s'expriment via une musique électronique hypnotique, captivante et aux multiples références.

On est d'ailleurs obligés de refaire un point sur la communication de l'artiste : si celle-ci semble parodique dans son surjeu de la gothitude, d'un énième degré absolument délectable, la musique n'a rien d'une blague (ou bien, c'en serait une qui tue). Il y a, dès les titres des morceaux, une déclaration d'amour au cinéma plus ou moins indépendant : les enfants vampires de Morse, les hallucinations rituelles et le deuil de Midsommar, les fans de Mad Max hipsters post-apo chelous de Bellflower... ou même Jessica Jones (avant de critiquer, allez donc voir la performance de David Tennant : Kilgrave Made me do It, nous aussi on lui aurait obéi avec plaisir). La conséquence de cette cinéphilie est une musique forcément expressive, communicative et narrative où les samples s'incrustent pour colorer les atmosphères de tout leur pessimisme.

On est saisi aussi bien par le chant très goth, à la fois plaintes écorchées et incantations obscures de In the Dark You Can See Everything que par les nappes opaques qui nous enveloppent et cette rythmique industrielle oppressante : les créatures de la nuit rôdent et trimballent leur désespoir. Entre post-punk et darksynth (God is LSD et ses explosions rageuses viscérales), errances atmosphériques hallucinées (A James Bond Car for Drunk), éclaircies un peu shoegaze, un peu cold wave à la mélancolie 80's (Kilgrave Made me do It et son côté The Cure qui voudrait faire du punk hardcore, et vice versa) et la basse épaisse et écrasante de la menaçante Nevermind What's Been Selling, It's What You're Buying et ce retour à un son à nouveau plus froid et industriel qui cite Fight Club plus que Fugazi, Dark Supreme varie les plaisirs et les nuances de noir. On ne s'ennuie jamais, captifs d'une toile d'araignée faite de spleen et de ténèbres synthétiques et de complaintes théâtrales qui mutent en cris saisissants.

Down the Drain est un EP qui fascine et attire à plus d'un titre : il y a tout d'abord ce second degré ultra-goth qui nous amuse beaucoup, puis toutes les citations et références au monde des images qui bougent sur un écran qu'il est toujours ludique de déceler... Mais surtout, il y a la musique. Dark Supreme alterne entre le poignant et la menace, l'organique et l'industriel, le clin d’œil passéiste et une modernité certaine dans cette façon d'emprunter et de mélanger les genres, des pluies pleines de néons d'un futur cyberpunk aux pluies grisâtres des années 80. Down the Drain est une curiosité qui, avec seulement cinq titres, fait preuve d'une belle richesse et d'un pouvoir de séduction réel, addictif même. Alors noyez vous donc dans le froid néant avec lui.