Chronique | Dancing Plague - Domain

Pierre Sopor 6 septembre 2025

Les choses vont très vite du côté de Conor Knowles, l'âme tourmentée derrière Dancing Plague. Depuis 2020, il enchaîne les sorties, imposant son minimalisme glacé et son timbre sépulcral singles après singles. Alors que l'album Elogium a tout juste un an et demi, il revient faire danser les chauve-souris avec Domain, son premier sur le label Artoffact Records qui le présente comme "un exorcisme personnel" et "une plongée dans le naufrage émotionnel de l'identité, la perte et la désillusion existentielle, une descente dans l'apathie et l'aliénation avec une intensité sans faille"... on en salive d'avance !

D'emblée, Dancing Plague nous plonge en terrain familier : With You I Am Nothing (rien à voir avec Placebo, si ce n'est une réponse nihiliste au vitriol !) renoue avec cette simplicité qui fait toute l'efficacité de Dancing Plague et ce chant plus grave que la mort qui ferait tomber la nuit sur le soleil lui-même. On apprécie néanmoins une dureté nouvelle, une binarité EBM dans la rythmique qui confère à Dancing Plague un supplément d'intensité. Knowles se lamente : "if this is heaven, drag me to hell" avant de nous cracher le titre du morceau. On est évidemment conquis par cette approche très premier degré et le monolithisme du chant laisse filtrer juste ce qu'il faut de théâtralité, confrontant introspection et frontalité.

Dancing Plague ne fait pas dans les fioritures. Les mélodies sont simples mais redoutables, les paroles récitées comme des slogans, véritable punchlines gothiques que l'on aimerait imprimer sur des stickers pour décorer notre cercueil. On imagine l'artiste nous fixer avec son regard noir, là, dans la pénombre : impossible de ne pas trouver dans ces tourments exacerbés quelque chose de réjouissant. La musique de Dancing Plague est peut-être glaciale et rigide, puisant une forme de rigueur dans le passé, on apprécie néanmoins une évolution vers des atmosphères et des mélodies plus présentes. Knowles varie les plaisirs et, s'il ne se déride pas d'un iota, semble néanmoins assouplir ses compositions tout en faisant preuve de nouvelles ambitions. C'est plus ample, plus riche.

Domain est d'une efficacité redoutable, chaque titre est un tube potentiel. L'artiste originaire de Portland a-t-il déjà semblé si sinistre qu'avec Senseless ou I Used to Feel et cette réverbération fantomatique d'outre-tombe ? Et pourtant, comment nos popotins sont supposés résister à Turn to Dust ou Impostor ? On repense alors à l'épidémie de danse de Saint-Guy, ou chorémanie, qui donne son nom au projet : au XVème siècle, en Alsace et Allemagne, des gens "se mettaient subitement à danser de façon incontrôlée et étrange jusqu'à s'écrouler de fatigue et continuaient à se tortiller même une fois à terre", comme dit wikipedia. On soupçonnait Knowles d'être une sorte de spectre ou de vampire immortel, on en a la preuve : il entraînait déjà ses victimes pour le WGT, l'Amphi et le M'Era Luna il y a plusieurs siècles !

Il y a un paradoxe avec Domain qui le rend très attachant : entre ses textures industrielles plus modernes mais tout aussi froides, son nihilisme et son désespoir dégoulinant et ce chant d'une noirceur absolue, Dancing Plague ne se déride jamais. Pourtant, Dancing Plague donne aussi envie de remuer nos carcasses mortes à l'intérieure... et finit presque par dégager une forme de décalage irrésistible avec sa moue boudeuse imperturbable. Ouais, on est sombres, l'espoir est mort, l'avenir est nul, nous ne sommes que de ridicules morceaux de viande bien trop bavards qui gesticulent de façon pathétique. On est tristes, on n'a pas envie de sortir du caveau ce matin. Mais avec Dancing Plague, qu'est ce qu'on s'éclate !

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe