Chronique | Corpus Delicti - A New Saraband of Sylphes

Tanz Mitth'Laibach 9 septembre 2018

CORPUS DELICTI fait partie, à l'instar de NEVA ou VIOLET STIGMATA, de ces groupes gothiques français originaux qui, hélas, n'ont pas fait long feu, nous laissant des albums imparables auxquels on aurait souhaité une plus longue descendance. Ce quatuor niçois issu du groupe DAZZLE AND DELIGHT eut une courte carrière entre 1990 et 1998 au cours de laquelle ils eurent cependant le temps de se faire connaître au-delà des frontières jusqu'à tourner aux États-Unis en compagnie de DAS ICH et de FAITH AND THE MUSE ; après un premier album orienté goth-rock, le déjà excellent Twilight (réédité depuis sous le nom de From Dawn To Twilight, ce qui évitera des homonymies peu glorieuses), le groupe sort en 1994 ce qui restera comme son chef d'œuvre, l'album Sylphes -aujourd'hui introuvable comme son prédécesseur, il a été réédité en 2008 sous le nom de A New Saraband of Sylphes. Il est temps de déterrer ce trésor !

Si Twilight était un album grave et glacé, cette nouvelle sarabande d'esprits aériens est comme son nom l'indique un disque beaucoup plus entraînant, qui se démarque également de son prédécesseur par le chant plus lyrique adopté par Sébastien Pietrapiana ; CORPUS DELICTI se rapproche ainsi du style plus théâtral de la batcave, et l'on ne manquera pas au cours de l'album de penser à un certain BAUHAUS, période The Sky's Gone Out. On retrouve ainsi des groupes gothiques des années 80 cette basse lourde et sinistre mais aussi et surtout les roulements angoissants comme l'orage approchant de la batterie, implacablement martelée par Laurence Romanini, on a rarement vu cet instrument utilisé de façon aussi impressionnante chez un groupe goth ! Mais les Niçois surprennent davantage encore par leur guitare virevoltante, rapide et incisive mais pourtant légère, paraissant danser autour de nous pour mieux nous hanter... Elle est ici tenue par un nouveau guitariste qui rejoignit le groupe entre les deux albums, Jérôme Schmitt.

Sylphes s'avère ainsi un album à la fois inquiétant et séduisant ; au milieu de son atmosphère oppressante, nous nous laissons entraîner presque malgré nous par une guitare dansante et le chant saisissant de Pietrapiana, comme en proie à un sortilège. CORPUS DELICTI trouve ainsi un bel équilibre et retraduit la batcave et le goth-rock dans son propre style, ondoyant et mordant, plus léger que celui des groupes germaniques et anglo-saxons de la même époque.

Comble de bonheur, l'album s'avère aussi des plus riches : au long des tout de même quatorze titres du disque originel, on rencontre des morceaux hargneux, possédés, emplis d'une rage désespérée tels que ...Off All Desperations ou Circle, d'autres très calmes où quelques sonorités électroniques glaciales nous entraînent dans une fascination morbide à la manière de The Smile of Grace, des chansons à l'énergie proche du rock tels que Patient ou Masquerade, la mélancolie lancinante d'un Dusk of Hallows... À chaque fois, le groupe fait preuve de richesse sonore et d'un sens de la mélodie redoutable, auxquels donne vie le chant torturé de Sébastien Pietrapiana, capable de passer de la plus profonde mélancolie à une fureur démente. Sur la réédition, on a droit en plus à l'inédit Out of Steam, morceau féroce et pesant qui préfigurait l'évolution du groupe vers le metal industriel, ainsi qu'à Night Hunt qui vaut surtout pour son étrange mélodie en arrière-plan, en plus de deux enregistrements live. La seule erreur est l'enchaînement entre le premier morceau Patient, porté par un riff rock percutant, et le deuxième The Lake..., qui est à l'opposé un morceau contemplatif, débuter l'album ainsi donne une impression désagréable de faux-départ, mais cela est vite oublié.

Ce qui est beaucoup moins oubliable, en revanche, ce sont deux morceaux qui requièrent une attention particulière : Sylphes et Noxious. Sylphes, parce que le morceau-titre déploie une ambiance mystique et envoûtante irrésistible tandis que Sébastien Pietrapiana murmure autant qu'il chante, manifestement en proie à la folie, les sons aigus et graves se combinent à merveille pour nous entraîner dans une sarabande malsaine. Noxious (The Demon's Game), parce que ce long morceau lugubre, avec son ambiance glaciale, son chant à la passion désespérée et ses guitares qui finalement se déchaînent comme à regret, est d'une beauté poignante ; et cette fois, pas de doute, on se dit qu'il y a bien du BAUHAUS chez CORPUS DELICTI.

Chef d'œuvre de CORPUS DELICTI, A New Saraband of Sylphes est donc aussi un chef d'œuvre tout court, l'un des joyaux produits par la scène gothique française à cette époque. Il fut suivi d'un troisième album plus inégal, Obsessions, ou Last Obsessions dans sa réédition, puis d'un virage vers le metal industriel sous le nom de CORPUS qui laissa plus dubitatif ; depuis, le groupe formé il y a aujourd'hui vingt-huit ans par Laurence Romanini et le bassiste Christophe Baudrion n'est plus et même les rééditions de ses disques sont devenues difficiles à trouver -fort heureusement, le label D-Monic les a rendus aisément téléchargeables, ainsi que la compilation virtuelle Highlights, nous permettant de renouer avec ce groupe qui a passé comme une étoile filante.