Chronique | Behemoth - Opvs Contra Natvram

Pierre Sopor 21 septembre 2022

Behemoth agace et fascine, souvent pour les mêmes raisons. Après avoir redéfini le son de son groupe au milieu des années 2010 avec The Satanist, Nergal s'est embarqué pour une surenchère blasphématoire et théâtrale tout en rendant sa musique plus accessible (dans le cadre relatif du metal extrême, entendons-nous). Pompeux ? Jouissif ? Premier ou second degré ? Allez savoir avec ce facétieux leader polonais qui fait le mariole sur Instagram tout en faisant trembler les organisations religieuses de son pays. Opvs Contra Natrvram ne devraît faire ni dans le consensuel ni dans le minimalisme, à l'image de ce show capté pour sa sortie... sur le toit du Palais de la Culture à Varsovie.

Tranchons rapidement : pour nous, c'est tant mieux. En 2022, surjouer les gros méchants ne peut plus se faire sans un minimum de décalage. Cela ne veut pas dire que Behemoth est parodique mais, comme un vrai film de série B, il n'y a qu'en le faisait sérieusement que le résultat est vraiment satisfaisant. Sans cynisme aucun, Behemoth y va à fond et c'est dans toute sa superbe grandiloquence qu'on les préfère désormais. L'intro aux percussions chamaniques Post-God Nirvana (et Nergal qui flirterait presque avec des incantations en chant de gorge), les chœurs de The Deathless Sun qui s'ancrent très fort dans notre esprit au point de devenir caractéristiques de l'album dans son ensemble, ou les lamentations fantomatiques du début de Versvs Christvs... Aussi, n'en déplaise aux amateurs du Behemoth le plus mordant, c'est dans la lenteur que les effets grand-guignols gagnent toute leur pesante emphase, leur menace monumentale : le venin et la rage désespérée que nous dégueule Nergal sur Ov My Herculean Exile sont partiuclièrement délectables et les répits de Off to War! donnent au titre sa dimension épique.

On pourrait alors bien facilement dire qu'Opvs Contra Natvram est une redite de ce que fait Behemoth depuis bientôt dix ans... Nous y verrons plutôt un approfondissement d'un mélange black / death à grand spectacle dont l'efficacité redoutable se peaufine. L'album est moins fouillis que le précédent I Loved You at Your Darkest, notamment grâce à une production plus soignée qui met en valeur le jeu de batterie ainsi qu'un solo ici ou là qui apporte émotion, respiration et intensité dramatique. On ne retrouve certes pas le choc de The Satanist mais avec ses quelques accélérations véloces et méchantes (Malaria Vvlgata, Thy Becoming Eternal) ou ses parties au groove étrangement fédérateur (Once Upon a Pale Horse) et son sens permanent du show, Behemoth propose une compilation modèle, un ensemble dont rien n'est à jeter et chaque morceau est un hit potentiel.

On se souviendra alors de cet Opvs Contra Natvram pour ce qu'il est : un blockbuster fait avec amour et savoir-faire, une envie d'en mettre plein les yeux et les oreilles et de ne rien se refuser. Cela va avec son lot d'écueils crispants pour les auditeurs plus exigeants et avant-gardistes, mais on peut aussi trouver tout cela follement divertissant. Surtout, c'est un disque généreux et réjouissant dans son surjeu, son anti-cléricalisme outrancier et son too-much constant. Behemoth au sommet de son art, quoi.