Chronique | Aesthetic Perfection - Into the Black

Pierre Sopor 4 avril 2019

Daniel Graves est un homme occupé : en sortant régulièrement des singles pour faire patienter ses fans, on en oublierait presque qu'Into the Black n'est que le cinquième album studio de son one-man-band AESTHETIC PERFECTION. On met volontairement de côté le live acoustique Imperfect et Blood Spills Not Far From the Wound, composé d'anciens morceaux aux sonorités synthpop plus apaisées pour souligner que cela faisait même cinq ans qu'il n'avait pas sorti de "vrai" album et ses nombreux fans avaient hâte de savoir quelle direction prendrait sa "pop industrielle" avec Into the Black.

Bien évidemment, les derniers singles étaient des indices révélateurs : Love Like Lies, LAX, Ebb and Flow ou encore la nouvelle version de Rhythm + Control annonçaient tous un son dur, agressif. Ce n'était cependant pas suffisant pour nous préparer au choc de Gods & Gold, qui lance Into the Black. Si vous étiez resté sur l'introduction atmosphérique et théâtrale de 'Til Death, attendez-vous à être réveillé brutalement : c'est au son de riffs de guitare pachydermiques que démarre cet AESTHETIC PERFECTION version 2019, rapidement accompagné de Graves qui s'égosille d'une voix saturée viscérale et rageuse. Alors qu'on commence à craindre pour ses cordes vocales, un refrain aérien et lumineux en voix claire apporte la touche de douceur qui manquait. Mélange de synthpop, de dubstep et de metal industriel, Gods & Gold (à laquelle participe le guitariste de RAMMSTEIN Richard Z. Kruspe) a des airs de CELLDWELLER : ça castagne très fort, c'est super accrocheur et les parties plus pop séduisent nos tympans avec une efficacité redoutable.

Wickedness rappelle très fortement LAX, avec ses beats EBM et son chant rentre-dedans scandé. C'est intense et l'énergie folle que dégage Into the Black dans sa première partie ne faiblit pas avec No Boys Allowed, tube ultra catchy et dansant, le genre de trucs qui restent collés en tête pour la journée. C'est d'ailleurs une constante chez AESTHETIC PERFECTION : ces rythmiques et mélodies que l'on assimile immédiatement et ne nous lâchent plus, jusqu'à devenir addictives (Supernatural fait très fort aussi dans le genre). Il suffit de quelques secondes pour se laisser prendre et des heures pour en sortir. AESTHETIC PERFECTION est ce chaînon manquant entre COMBICHRIST et BRITNEY SPEARS que l'on ignorait désirer, sa musique se situe quelque part entre le sens de la formule musicale qui accroche et fait remuer les popotins et le headbang sauvage. 

Cependant, à l'exception de If I Die et la très EBM YOLO, la suite de Into the Black s'avère moins énervée: sans perdre en efficacité, les morceaux sont plus mélancoliques. On pourrait d'ailleurs regretter l'absence d'un piano qui aurait pu relever l'ensemble comme c'était le cas avec All Beauty Destroyed : la sortie relativement récente d'un album acoustique nous donnait le droit d'espérer ! Cependant, la guitare très présente de Jinxx de BLACK VEIL BRIDES apporte à l'album un supplément d'âme, un côté plus organique qui marque une évolution significative chez AESTHETIC PERFECTION.

Sans trahir ses anciens albums, Daniel Graves continue avec Into the Black de travailler ses textures sonores élégantes, s'éloignant de l'aggrotech des débuts sans pour autant s'adoucir, cultivant son goût pour une musique léchée, à la fois agréable à l'oreille et agressive. Il ose même une évolution risquée en ajoutant de la guitare sur la moitié des titres, un choix payant : son album est une réussite qui risque de tourner en boucle un bon moment.