The Sisters of Mercy + Divine Shade @ L'Olympia - Paris (75) - 18 mai 2025

Live Report | The Sisters of Mercy + Divine Shade @ L'Olympia - Paris (75) - 18 mai 2025

Pierre Sopor 19 mai 2025

Beaucoup de choses ont été dites sur les concerts des Sisters of Mercy : les performances sont parfois inégales, le groupe se planque dans la pénombre et derrière d'épais nuages de fumée... et a tout de même la particularité de ne pas avoir sorti d'album depuis Vision Thing, en 1990 (le guitariste Kai n'était pas encore né !). Pourtant, et contrairement à d'autres monuments de l'histoire du rock, Eldritch n'a pas figé dans le passé son groupe : des "nouveaux" titres, il y en a. Il faut juste se déplacer pour les voir en live car ils n'ont jamais été enregistrés. Voilà qui nous donne déjà une bonne raison d'y retourner, encore et encore. Ensuite, eh bien, une fois que l'on a fait la paix avec les évidences (non, en effet, on n'a pas la même forme à 65 ans qu'à 25), on peut aussi savourer ces occasions de retrouver ce groupe mythique tant qu'ils sont là, qui plus est dans un écrin aussi élégant que l'Olympia. De plus, les retours sur les précédentes dates françaises sont enthousiastes ! On est surpris par la moyenne d'âge du public : il y a pas mal de jeunes, preuve que non seulement l'aura des Sisters of Mercy continue de fasciner mais surtout que leur histoire continue malgré tout de se conjuguer au présent. Est-ce qu'on sortira de cette soirée organisée par Forest Sound Production les yeux plein d'étoiles (noires), ou en lâchant notre meilleur "les Sisters, non merci" ?

DIVINE SHADE

Avant de pouvoir se dandiner sur des hits intemporels, l'Olympia avait l'occasion de découvrir Divine Shade, que l'on a eu le plaisir de suivre et de voir grandir depuis plusieurs années. Le groupe de rock industriel de Rémi Thonnerieux prend son temps et vient tout juste, après dix ans d'existence, de sortir son premier album (chronique). En chemin, le groupe a ouvert pour Gary Numan, New Model Army ou The Mission, "collectionnant" les affiches avec des artistes cultes. Mais même après ça, même après avoir joué à Wembley, on se dit que les deux frangins doivent quand même avoir un rythme cardiaque un brin plus élevé que d'habitude au moment de prendre place sur scène face à un public déjà bien présent. Surtout que cette fois, ils n'ont pas de batteur pour les accompagner (on est chez les gothiques, après tout !).

Dans la pénombre, rapidement, la rengaine entêtante de Hate and Oblivion, machines menaçantes et chant mélancolique, s'installe. Divine Shade pulse et nous accable de sa noirceur en même temps, la guitare de Nicolas Thonnerieux apporte un supplément de punch aux morceaux qui prennent alors une dimension plus rentre-dedans en live. Divine Shade ne cache pas ses influences, des Young Gods à Nine Inch Nails (jusqu'aux postures de Rémi sur scène). Ils cultivent le même goût pour le contraste entre contemplation et distorsions, cette science du bruit qui vient troubler l'harmonie de la surface... mais aussi ce sens de la chanson qui fait mouche. Il suffit d'entendre Ruines et Cendres pour s'en convaincre : il y a ce beat à la The Hand That Feeds, certes, mais surtout ce texte en français récité avec un groove déprimé.

Catchy mais rugueuse, la musique trouve son public : avec quelques restes de timidité, Rémi Thonnerieux lâche un "faites du bruit" tout mignon à l'Olympia qui, heureusement, obéit. Ouf : ils ont accroché. En même temps, c'était après Oublier, imparable piste à laquelle a participé Steve Fox-Harris, le guitariste de Gary Numan. Obsédante, noire, lourde et en même temps irrésistible : Divine Shade tient son hit, un truc au parfum de ruines à la fois rock, moderne et introspectif.

Une demi-heure, ça passe vite. Divine Shade conclut son set avec Heaven. Là encore, contraste entre rêveries, vague à l'âme et explosions rageuses. L'obscurité et les tons froids dans lesquels nous sommes plongés se prêtent bien à l'humeur. Quand le duo quitte la scène sous les applaudissements, on partage leur soulagement et leur bonheur : bien sûr que ça l'a fait, on n'avait aucun doute. On a hâte de les retrouver et on sort de leur set avec la conviction qu'à force d'ouvrir pour nos illustres idoles, quand celles-ci quitteront la scène, eh bien Divine Shade y sera bien installé pour prendre leur place !

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THE SISTERS OF MERCY

On n'attend quand même pas d'Andrew Eldritch qu'il obéisse à quelque chose d'aussi banal que le temps, lui dont la musique s'en est affranchie, et c'est avec une petite dizaine de minutes de retard que les lumières s'éteignent. Les guitaristes Ben Christo et Kai arrivent en bord de scène pour envoyer les riffs de Doctor Jeep, jouée ici en medley avec Detonation Boulevard. Les deux prennent la pose et font preuve d'une énergie qui, d'emblée, aide le public à chasser les fourmis qu'il avait dans les jambes. Eldritch, lui, est dans son rôle habituel : il rôde dans les ombres, derrière ses musiciens, et n'en sort que pour se placer devant un spot de lumière de temps à autre. Éternelles lunettes noires, ongles taillés en pointe, crane parfaitement lisse, il a bien conscience de son image et en joue à merveille, sorte de Comte Orlock rock'n'roll, à la fois menaçant, mystérieux et facétieux. Il marmonne de sa voix sépulcrale, surjouant son personnage de diva des ténèbres. Les profanes s'agacent sûrement de voir l’icône refuser le contact avec son public et se dissimuler dans les ombres, mais cette attitude a quelque chose de jouissif dans son refus, justement, d'être fun, sympa ou convivial (des mots, qui, probablement, le feraient frissonner de dégoût dans son caveau).

Les souvenirs parfois douloureux de dates passées sont vite effacés (notamment ce Zénith de 2006) : ce soir, ça sonne à mort. La voix d'Eldritch est un peu en retrait en début de concert mais ce n'est pas un problème car non seulement ses musiciens assurent le show et compensent mais, de toute façon, le public chante les paroles aussi fort que la sono de l'Olympia. Là aussi il y a de quoi être surpris : l'ambiance est folle. Très vite, alors qu'Alice retentit, le sol de la salle se met à rebondir, ça pogote même gentiment. On ne soulignera jamais assez tout ce qu'apportent Kai et Christo (présent depuis 20 ans dans le groupe, il en est un pilier : mis à part la boite à rythme Doktor Avalanche, personne n'avait tenu si longtemps !). Ces deux-là sont une véritable cure de jouvence, que ce soit grâce à leur énergie ou cette nervosité nouvelle insufflée aux morceaux.

On est quand même un poil circonspects : on verrait presque quelque chose sur scène. On a connu nos Sisters plus enfumés ! Mince alors, on risquerait de les reconnaître... c'est un coup à ne pas les reconnaître ! Pire : Eldritch a l'air bien luné et semble même s'amuser, parfois, un peu. On est chez les gothiques, hein (mais n'allez pas le lui répéter où il va nous faire une grosse colère - ce qui est d'ailleurs typiquement un truc de gothique, ça !), alors il faut faire la gueule, il ne faut surtout pas mettre trop de lumière, ça serait bête qu'on en voit trop, et on ne va quand même pas s'enquiquiner à enregistrer des trucs en studio alors qu'on peut les jouer en live ! Mais il y a des signes qui ne trompent pas, comme sa complicité avec ses musiciens, ses postures ironiques, et un "merci" lâché en français en fin de concert (oui, oui, les Sisters, merci !)...

Du début à la fin, c'est la machine à tubes. Est-ce le temps qui a transformé cette discographie, pourtant rachitique au vue du nombre d'années, en collection de morceaux imparables, profondément ancrés en chacun ? L'Olympia se dandine comme si la Guerre Froide n'était pas terminée au son de Dominion / Mother Russia, frissonne avec la lugubre Marian, explose avec More... Côté setlist, on voudrait tout de même bien renvoyer à Eldritch son "I want more", surtout du premier album ! On the Beach, Eyes of Caligula, When I'm on Fire, Don't Drive on Ice, Quantum Baby... ces titres ne vous disent rien ? Tous ces morceaux ont moins de cinq ans et étaient probablement découverts ce soir par une grande partie du public. Les Sisters of Mercy ont une matière conséquente accumulée au fil des ans et leur musique la plus actuelle n'existe donc que dans cette forme, jouée en live, authentique, vivante... et insaisissable. On remue moins mais on écoute un peu plus attentivement.

Après Temple of Love (un nouveau triomphe), le groupe quitte la scène et se prête au jeu du faux suspense avant un rappel. Là, fini les conneries, fini de rire, on peut se lâcher ! Les titres inédits, même quand ils ont bientôt trente ans comme Summer, c'est bien, mais il fallait à l'Olympia un bouquet final. Les adieux commencent avec le spleen glacé de Never Land avant d'enchaîner sur Lucretia My Reflection et This Corrosion. On peut être gothique au point de refuser d'être traité de gothique, mais il y a des limites à la mauvaise foi et même Eldritch, visage impassible, tape dans ses mimines ! On note d'ailleurs comme, sur cette dernière partie de concert, sa voix était puissante et ses rugissements couvraient ceux du public.

De mémoire récente (sur les deux dernières décennies), on ne se souvient pas être sorti d'un concert des Sisters of Mercy aussi heureux. Si les gimmicks du groupe sont frustrants pour certains, ils en jouent pourtant de manière évidente avec un second degré taquin qui est, là encore, très goth. La performance était solide, le public bouillant. Profitons que nos icônes soient encore sur scène pour leur rendre hommage et les entendre encore une fois, même si ce n'est pas "comme avant" (vous non plus, vous n'êtes pas aussi bien qu'avant, d'ailleurs !), d'autant que les Sisters of Mercy proposent un paradoxe temporel assez particulier en partageant leur set entre des classiques figés dans le temps et d'autres titres qui, en n'ayant jamais été enregistrés, restent éternellement jeunes. Un mélange sans age entre nostalgie et choses bien actuelles, l'aura de ce mythe du rock reste intacte : c'était sombre, c'était cool.

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe