Sierra Veins + Ghost Dance @ La Cigale - Paris (75) - 26 novembre 2025

Live Report | Sierra Veins + Ghost Dance @ La Cigale - Paris (75) - 26 novembre 2025

Pierre Sopor 27 novembre 2025

Vous connaissez la formule : la bise est venue, on est très fort dépourvus, ohlala, qu'est ce qu'on est dépourvus, mais heureusement Sierra Veins vient cogner à la porte de la Cigale avec un mot d'ordre : "eh bien, dansez maintenant !". C'est dans ce très beau théâtre qu'elle venait défendre son nouvel album, In the Name of Blood (chronique), le Périscope choisissant d'y organiser ce nouveau concert parisien après le Trabendo blindé d'il y a un an et demi (souvenez-vous). La première partie est assuré par Ghost Dance : après avoir eu l'honneur d'être le seul invité sur le dernier album de Sierra Veins, le voici donc à nouveau son invité pour partager l'affiche. On note que Sierra Veins, contrairement à d'autres artistes auxquels elle pourrait être associée (Carpenter Brut, Perturbator, etc) continue d'avoir pour première partie des artistes issus de la scène électronique, une stratégie qui lui permet peut-être de continuer à exister sur plusieurs scènes (goth, metal, techno, etc) et de toucher un public varié, lui évitant d'être enfermée dans certaines cases.

GHOST DANCE

Ghost Dance a peu de place : un épais rideau dissimule la majeure partie de la scène. Heureusement, il lui en faut peu. On ne va pas vous mentir et faire semblant d'être super familiers avec son travail : en parcourant rapidement sa discographie avant le concert, on tombe sur des choses variées, pas mal de collaborations... Bref, on ne sait pas trop à quoi s'attendre. 

Les bonnes nouvelles arrivent vite : tout d'abord, Ghost Dance a soigné le visuel : des rayons de lumière agressifs percent la pénombre et le rouge du rideau apporte une petite touche fantastique gothique bienvenue. Ensuite, eh bien, on se fait ratatiner la gueule. Il n'y a pas vraiment de moyen poli de le dire : le son est ultra lourd et engage immédiatement son public, le chopant par la peau des fesses pour l'attirer de force dans une tempête de boum-boum. Entre l'ardeur rave et la pesanteur de la bass music, Ghost Dance n'y va pas de main morte. Plus que de danser comme des spectres, sa musique donne envie de pogoter au milieu des tombes comme des zombies affamés. Retirez le "g" de "graveyard" et vous avez une idée de l'ambiance.

Alors on ne va pas non plus vous cacher qu'au bout de quarante minutes, on aurait aussi aimé que les mélodies et touches plus atmosphériques aient parfois le temps de nous immerger un peu plus dans cet univers, histoire d'ajouter à cette approche très rythmique un peu de respiration, un peu plus d'âme à ces muscles et ce squelette ! Mais on comprend aussi le parti pris de l'artiste : c'est un première partie, il faut taper fort pour se faire entendre, il y a là une foule qui réclame un échauffement, alors Ghost Dance envoie tout ce qu'il a pour s'imprimer aussi bien dans nos tympans que nos rétines. Pour ça, c'est mission accomplie, et on en ressort avec l'envie de découvrir le travail de l'artiste de manière plus approfondie, car on sent bien qu'il y a des couches de profondeur derrière la puissance de l'assaut.

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SIERRA VEINS

Le rideau de la Cigale s'éclipse enfin pour nous laisser admirer la structure lumineuse qui surplombe la scène alors que le concert commence comme l'album In the Name of Blood : sur son morceau-titre, tout en tension contenue, alors que la salle baigne dans une lueur verte. Il y a quelque chose qui donne l'impression d'une explosion au ralenti : le tempo est lent, c'est lourd, mais il y a déjà ce truc bouillant qui frémit, cette nervosité palpable. Les informations s'accumulent : la scénographie est magnifique, mais on est surtout immédiatement surpris par la présence d'Annelise Morel. Petit à petit, on a vu Sierra Veins grandir et muter pour s'affirmer de plus en plus. Fini les prises de parole un peu timides qui donnaient encore l'impression que l'artiste bravait avec courage la foule : cette fois-ci, elle bouffe l'espace et son public avec, assumant pleinement son rôle de frontwoman. Sierra Veins s'affirme avec une rage revendicative que l'on retrouve autant dans la musique que dans ce jeu de scène plus proche du public.

Et puis, on le mentionnait, il y a cette incroyable structure au-dessus d'elle. Deux choses ont toujours démarqué les concerts de Sierra Veins : l'intensité qu'elle y met, ayant à cœur d'incarner physiquement sa musique électronique, mais aussi les jeux de lumière toujours très soignés. Cette tournée marque un tournant : les lumières sont l’œuvre de Maxime Rocher (Enjoy Lights), assisté ce soir de Loïc Senée (LS Light Design, dont on connaît déjà l'incroyable boulot avec Shaârghot, par exemple). Le dispositif intrigue : il tient autant du lit de princesse de conte de fée que des inquiétantes machines d'un savant fou, un truc à la fois onirique et cyberpunk au centre duquel on retrouve la musicienne dans un rôle entre le Docteur Frankenstein et sa créature. Puis, quand les couleurs passent au rouge, l'évidence nous frappe : tout cela forme un réseau sanguin, différentes veines venant alors alimenter un cœur qui pulse. La grande classe, c'est élégant, évocateur et spectaculaire.

ll y a donc le spectacle de Maxime Rocher, le cadre de la Cigale, mais, surtout, au centre de l'attention, la musique et l'énergie de Sierra Veins. Les nouveaux morceaux castagnent, les anciens aussi. On est ravis de retrouver Gone et ses basses abyssales, la frénésie d'Unbroken, la révolte rampante de l'hymne Never Right ou le groove irrésistible de Power. Aux côtés de ces classiques, les titres les plus récents viennent ajouter un supplément d'impact, notamment émotionnel. L'hypnotique Desire, la mélancolie qui vire à l'aventure épique de The One... mais surtout les titres dans lesquels on ressent le plus ce cri viscéral, cette rage de vivre. Ain't No Woman et, vers la fin du concert, Who I Used to Be, mélangent une production inspirée à une âme à vif dont les cris hantent les synthétiseurs. Suivre Sierra Veins avec le temps donne cette impression touchante de la voir, au travers de son art, se trouver elle-même en tant que personne pour devenir ce monstre irrésistible et fédérateur, une créature affranchie dont elle est elle-même la créatrice.

Difficile d'en sortir avec des regrets, si ce n'est peut-être qu'on en aurait toujours voulu plus et ainsi, peut-être, avoir plus de temps pour ses titres instrumentaux plus atmosphériques ? En live, Sierra Veins est déjà iconique. Là, seule sur une scène aussi grande, écartelée entre ses machines ou brandissant crânement sa baguette en l'air en geste de ralliement, elle s'approprie les lieux, donnant de sa personne dans un genre où la spontanéité du live n'est pas évidente à instaurer. De la générosité, de la puissance, des morceaux immédiatement accrocheurs plein de profondeurs et un visuel dingue : Sierra Veins est un ovni, un truc à part dans le petit univers des musiques darksynth / EBSM / dark electro, capable de porter sur ses épaules une salle comme la Cigale avec sa sensibilité bien à elle mais aussi son talent pour nous botter sévèrement le cul. 

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe