Pendant la pandémie de covid-19, Sakis Tolis, confiné comme tout le monde, décidait de passer le temps en se lançant dans la création d'un premier album solo. Le chanteur de Rotting Christ semble y avoir pris goût puisqu'il a depuis sorti un autre album solo, The Seven Seals of the Apocalypse (cette fois sous le nom χ ξ ς') et qu'il travaille actuellement sur le prochain. Le public français pouvait découvrir tout cela en live pour la première fois sur la scène du Backstage by the Mill grâce à une soirée organisée par Sanit Mils et les ténèbres promettaient d'être belles puisque Mürrmürr et Decline of the I assuraient les premières parties. On sent qu'une soirée spéciale se prépare quand, avant même que le premier concert ne commence, il y a déjà pas mal de monde au premier rang, collé à la scène !
MÜRRMÜRR
Quand on va voir du black metal, si les musiciens se planquent sous les capuches de leurs sweats et ne portent ni maquillage ni costumes rigolos, c'est que l'accent sera mis sur les atmosphères plus que le grand-guignol. Attention, si les capuches sont celles de toges, c'est encore autre chose ! Mürrmürr n'a pour l'instant sorti que deux EPs mais propose déjà un univers personnel fort. Les paroles en français mettent en valeur les textes, inspirés par l'histoire et la religion (les guerres de religion du XVIème siècle servent ainsi de toile de fond à l'EP Katharos alors que Magdala parlaient des Couvents de la Madeleine, ou blanchisserie de la Madeleine, ces établissements irlandais qui "remettaient dans le droit chemin" les "jeunes filles en perdition" avec tous les abus que l'on imagine - récemment mis en lumière dans le film de Tim Mielants Tu ne Mentiras Point avec Cilliam Murphy).
Les morceaux se succèdent comme des histoires faites de douleurs, entre explosions de ténèbres brûlantes (Kildara, dont les paroles nous sont crachées avec rages) et pauses plus contemplatives hantées par des récitation en spoken word. Il y a de la mélancolie mais aussi de la majesté chez Mürrmürr, une poésie qui parfois s'enflamme sans pour autant virer à l'excès de théâtralité. L'implication des musiciens donne du corps aux morceaux alors que le chanteur Benjamin Ruquet prend le rôle de narrateur inquiétant et possédé. Avec son concept solide auquel la musique rend hommage de manière pertinente, Mürrmürr est à suivre attentivement... on a maintenant hâte de savoir vers quels joyeux moments de l'histoire ils nous emmèneront à l'avenir !
DECLINE OF THE I
Pendant les vingt minutes de pause qui séparent les concerts de Mürrmürr et Decline of the I, la sono de la salle change d'ambiance : si l'ouverture des portes se faisaient avec du black metal en fond, on a cette fois droit à des violons accompagnés par de la musique électronique du Balanescu Quartet... de quoi, déjà, nous plonger dans l'ambiance si unique du récent album de Decline of the I, Wilhelm, merveille de post-metal pleine de poésie, de créativité et d'âme en peine. En live, le groupe ne met cependant pas spécialement l'accent sur les expérimentations les plus surprenantes de sa dernière œuvre, entre parenthèses IDM à la Aphex Twin et violons spectraux. Le concert est intense, rempli d'angoisse, furieux. Cela n'empêche pas au groupe d'imposer sa personnalité unique dès son arrivée au son de l'interview donnée par Marie-Jo Simenon peu de temps avant son suicide samplée au début de Diapsalmata.
Entre ses plages atmosphériques cinématographiques, ses parties électroniques introspectives, ses explosions plus théâtrales où les ombres de Rotting Christ et Behemoth se devinent, Decline of the I cite Kierkegaard, Jean Eustache ou Bukowski et est d'une richesse fascinante. Planqué dans l'ombre, le cerveau tourmenté du projet et guitariste AK (qui a travaillé avec Eros Necropsique, nouveau signe que le monsieur sait apprécier les ténèbres les plus tortueuses) laisse son chanteur prendre la lumière. On regrette un peu que la configuration de la salle ne nous laisse pas plus voir l'écran en fond de scène sur lequel sont projetés textes et extraits de film car cette poésie viscérale se prête aux mises en scène moins conventionnelles. Les morceaux sont longs, immersifs, ambitieux et passionnants. Decline of the I est un projet atypique à l'univers unique qui fait exploser les cases pré-conçues de genre et plie les règles pour mettre la musique au service des émotions, c'est d'autant plus vrai avec les parties en voix claire grave et profonde assurée par AK. Cet univers réclame peut-être de son auditoire un supplément d'attention, mais la récompense le vaut largement : c'est puissant, habité, tortueux mais toujours d'une beauté saisissante.
SAKIS TOLIS
Il y a un peu moins d'une heure, on croyait entendre dans la musique diffusée par la salle des indices sur le concert à venir. On ne sait alors pas trop quoi penser en entendant Michel Polnareff meubler pendant la pause... Heureusement, quand le patron de la soirée arrive sur scène, ce n'est pas pour nous enchaîner les standards de la chanson française. Avec son enthousiasme habituel, il propose au public parisien les titres de son répertoire solo, mélange de toutes les influences qui ont inspiré sa carrière, du heavy au metal extrême. On est d'ailleurs ravis de l'entendre inclure assez tôt un titre de The Seven Seals of the Apocalypse, Seal 3-(Revelation 6:5-6)-The Black Horse, dont les incantations mystiques obscures et la rythmique martiale sont du plus bel effet. Sakis Tolis est un meneur charismatique hors pair et il le prouve à nouveau dans un rôle à mi-chemin entre le tyran antique et le chef d'une bande de copains que l'on suit dans toutes les aventures. Le public réagit immédiatement. On est même surpris de voir à quel point des morceaux comme My Salvation, The Dawn of a New Age ou We the Fallen Angels semblent déjà cultes pour un auditoire qui connaît les paroles par cœur.