Lucas Lanthier (Cinema Strange, The Deadfly Ensemble) + Arthur J. Reptilian @ Le Cirque Electrique - Paris (75) - 19 septembre 2024

Live Report | Lucas Lanthier (Cinema Strange, The Deadfly Ensemble) + Arthur J. Reptilian @ Le Cirque Electrique - Paris (75) - 19 septembre 2024

Pierre Sopor 23 septembre 2024

Imaginez un peu, en 2024, avoir l'occasion d'entendre en live Cinema Strange en France : le chanteur du groupe de deathrock culte des années 90/2000, séparé depuis quinze ans malgré quelques dates en 2016 (principalement en Allemagne), n'avait pas remis les pieds à Paris depuis 2008. Si le flyer précise bien qu'il s'agit de "Lucas Lanthier et ses estimés collègues", le parfum de nostalgie dans l'air, lui, ne trompe pas. On est venus écouter ses illustres groupes, Cinema Strange donc, mais aussi The Deadfly Ensemble, entre les murs rapprochés de l'Anti-Club du Cirque Electrique.

ARTHUR J. REPTILIAN

Mais avant ça, sous le spot rouge de la salle, le public pouvait se mettre en jambes avec Arthur J. Reptilian, dont on ne savait pas grand chose avant la prestation, si ce n'est que le monsieur pose avec une cigarette dans le nez le temps d'une photo promo. Ce soir, son nez est affublé d'une moustache, ce qui est paraît-il plus pratique pour respirer et réclame moins d'équilibre, mais arbore néanmoins un look improbable avec un tee-shirt répertoriant les chats du monde. Il fait nuit, pour nous ils sont tous gris, un peu comme la musique de notre camarade reptilien, minimaliste et maussade. Il lance son laptop et déclame, d'une voix grave pleine de reverb, ses lignes. On a beau ne pas connaître l'artiste, l'univers semble familier et ce chant nous évoque par exemple la mode cold-wave / post-punk venue des anciens pays du bloc soviétique (les Biélorusses de Molchat Doma, les Russes de Ploho...) mais qui aurait fait un grand écart pour se réchauffer du côté de l'americana sinistre à la King Dude. Ébloui par le demi-spot, le lézard que l'on nomme Arthur J., se trémousse face à un public qui a visiblement des fourmis dans les jambes et ne demandaient qu'à se faire matraquer par la première boite à rythme venue pour se dandiner. Il y a de l'énergie, on transpire et manifestement, déjà, la foule réunie est heureuse d'être là. Depuis les ombres, on salue la volonté du chanteur et son petit bain de foule en début de set, il fait ce qu'il peut pour sembler impliqué malgré une salle où les conditions techniques sont toujours bien peu luxueuses. Il faudra alors réécouter en studio pour se faire une meilleure idée et mieux apprécier les bizarreries d'une musique qui semble tout de suite plus déglinguée et ludique, mais en ouverture de soirée le contrat est rempli : ceux qui voulaient remuer ont remué, ceux qui préféraient boire des coups ont bu des coups.

LUCAS LANTHIER

Prévu pour 22h30, le concert démarre avec du retard : c'est dommage, on est en pleine semaine et déjà certaines chauve-souris savent qu'elles ne pourront rester jusqu'à la fin du concert. Rageant, quand on sait la rareté de l'événement ! On parlait plus haut de nostalgie... quid de la setlist ? Eh bien, il ne faut qu'une poignée de secondes avant d'avoir un premier indice avec les "cinema, cinema" samplés qui annoncent Aboriginal Anemia. Legs and Tarpaulin, Unlovely Baby, Catacomb Kittens, Greensward Grey... L'essentiel du set est consacré aux morceaux de Cinema Strange, dont on retrouve le batteur Daniel Walker. Les complaintes spectrales de Bruise Animals ou la très dark cabaret Horse on the Moor, des morceaux de The Deadfly Ensemble, calment une ambiance de plus en plus bouillante. Cette musique à la fois torturée et décalée, quelque part entre les lamentations de Sopor Æternus et l'énergie grinçante de Sex Gang Children, est le prétexte idéal pour le show de Lucas Lanthier.

Possédé, il est à la fois conteur, comédien, chanteur et âme en peine. Monté sur ressorts (et ses emblématiques talons aiguilles, bien sûr), il insuffle une énergie communicative à sa musique, décrochant quelques sourires aussi bien à son public, conquis, qu'à ses collègues (Daniel Munoz à la basse, déjà impliqué dans la reformation de 45 Graves et chez CrowJane) et Ashkelon Sain à la guitare (Devoured by Flowers, Solara Obscura). Tantôt écorché, tantôt facétieux, Lucas Lanthier est aussi bien un lutin farceur vaguement menaçant qu'une figure tragique. On en vient à oublier l'heure tardive ou le son du Cirque Electrique qui, en laissant prendre un peu trop de place à la batterie, décuple finalement l'intensité de ce deathrock là, et on se laisse transporter à une époque où l'on dodelinait dans la pénombre au son de Violet Stigmata ou Deadchovsky. Les apparitions de l'artiste californien, surtout en France, sont aussi exceptionnelles qu'atypiques et il fallait alors savourer cette soirée avec la conscience de son caractère exceptionnel. Il nous reste désormais à espérer que la prochaine visite de ce poète fou ne se fera pas dans quinze ans.