Kave Fest 2018 @ Chatou (30 juin 2018)

Kave Fest 2018 @ Chatou (30 juin 2018)

Pierre Sopor 2 juillet 2018 Pierre Sopor

Atypique, le Kave Fest l'est assurément. Comme si ça ne suffisait pas d'oser programmer un festival metal juste après le Download et le Hellfest, il fallait en plus que ça soit dans le jardin de Sélim, le courageux fou furieux derrière tout ça. Et à Chatou en plus : derrière ce nom tout mignon qui évoque les guilis et les petits chats se cache un bled du 78 que le RER A situe en Croatie quand on lit trop vite, connu pour son Île des Impressionnistes et le Bon Sauveur, Guantanomo local ayant traumatisé plusieurs générations de gosses qui ont subi l'enseignement de ce collège catho. Ah, et il y a un barbecue et plein de bière, le tout à des tarifs plus que raisonnables d'après le public mais totalement déraisonnables pour les organisateurs.

C'est donc dans ce cadre inattendu, où tout le monde sourit, dit bonjour et glande tranquillement dans l'herbe qu'a lieu ce festival, à la fois modeste par sa taille et son côté très familial et particulièrement ambitieux avec sa belle affiche, son organisation et son accueil au top. On y est reçu comme au goûter d'anniv d'un copain, et les arbres offrent l'ombre nécessaire pour survivre à la journée.

 800

KERA

Quand KERA arrive sur scène sur le coup de 15 heures, évidemment le Kave Fest n'est pas encore plein. Et pourtant, il y a déjà pas mal de monde pour découvrir le premier groupe de la journée. Certains sont venus avec leurs petits (à moins que des gosses y aient traîné leurs ancêtres ?), et les premiers rangs sont squattés surtout par les photographes et 2 ou 3 gnomes déchaînés de maxi 8/10 ans qui sautent dans tous les sens, protections auditives vissées sur le crâne. Pas sûr que KERA ait l'habitude de jouer face à ce public là en temps normal, le death metal progressif proposé n'est pas le genre de musique que l'on associe à un jardin d'enfants. Dommage, ça rendrait les jardins d'enfant vachement plus supportables. La performance du jeune groupe est solide et la musique est à la fois technique et viscérale (ils ne revendiquent pas les influences de HYPNO5E et OPETH pour rien). Sur scène, KERA dégage une image assez atypique, avec ce guitariste qui affiche un grand sourire et dont le tee-shirt demande qui est Mick Jagger (aucune idée, et puis on s'en fout en plus) et le chanteur au tee-shirt N.W.A., planqué derrière ses lunettes de soleil et à la gestuelle reptilienne qui dégage une forme d'agilité inhabituelle. Entre deux panneaux à l'image de Hysteresis, le premier album de KERA, et cachée derrière ses collègues, Klem vit son dernier concert comme batteuse du groupe. Notre photographe n'a pas réussi à la saisir avec son objectif, ce qui est assez désolant et pathétique. Il a beau être désolé, ça ne l'excuse pas pour autant. 

RAGARAJA

RAGARAJA est le deuxième groupe à monter sur scène, et partage avec KERA la même jeunesse, la formation rap / metal ayant également commencé à sévir en 2014. Ça groove bien, le public déjà chaud s'agite dans la poussière et sous le soleil : on commence à se croire dans Mad Max, surtout que niveau costume zarbi on a droit à un gars déguisé en Salamèche qui a probablement dû mourir de chaud dans le courant de la journée puisque sa joyeuse frimousse orange se fera bien plus discrète par la suite. RIP Salamèche ? En vrai, on s'en tape un peu. C'est ça la guerre, y'a des morts. D'ailleurs Euryale, chanteur de RAGARAJA, précise bien "on fait de la colère en mp3". Oh bah ça rigole pas alors, on est tout colère, on se rentre dedans, on fait les muscles, on fait la bouche pas contente, c'est la bagarre. C'est quand même dingue, parce qu'on est en milieu d'après-midi dans un jardin en banlieue parisienne, et le public est déjà bien là, à fond, c'est la fessée et les gens ont l'air heureux. Bref, c'est top.

INSOLVENCY

Le rythme du festival est soutenu : les sets sont relativement courts, avec juste le temps de boire un verre entre chaque groupe. D'ailleurs, il faut s'hydrater. Il y a de la grenadine et du jus de raisin au bar : il n'en faut pas plus pour sympathiser avec un mec qui, lui, brandit fièrement sa 8.6. Le Kave Fest, c'est VRAIMENT l'anniv chez un pote : on peut même apporter ses boissons. L'afflux constant de personnes remplit petit à petit l'espace, et si on respire encore, la foule est plus dense quand INSOLVENCY attaque son set, dos au public. On doit saluer ici l'orga qui a réussit à programmer huit groupes tous très différents les uns des autres tout en restant cohérent. INSOLVENCY propose un metalcore nerveux et habité, alors que le chanteur prend le temps d'introduire les différents morceaux, invitant le public à aller les découvrir sur le net. 

ODC

L'après-midi touche à sa fin avec le set d'INSOLVENCY mais, mois de juin oblige, la journée s'éternise. Par contre, on sent que l'heure de la sieste et du goûter sont passées : la foule est réellement plus nombreuse pour ODC, au point que les premiers-rangs sont désormais trop remplis pour les plus jeunes qui s'y trémoussaient sauvagement. Le concert d'ODC (d'ailleurs, il faut écrire ça ODC ou Odyssey ?) tombe à pic : après trois groupes très énervés, le chant clair et mélodique de Celia vient panser nos tympans ravagés. Le groupe, lui, n'existe que depuis 2016 et semble déjà avoir sa bande de fans : la musique, élégante et puissante est aussi plus accessible. Krauzer, le bassiste, assure le show, sautillant dans tous les sens un grand sourire aux lèvres. Ce zouave passe d'ailleurs la journée à faire le foufou dans le public. Sa bonne humeur et son enthousiasme sont communicatifs et augmentent encore le capital sympathie de ODC, déjà élevé à en croire l'accueil chaleureux qu'ils ont reçu.

NEMOST

Le Kave Fest, un festival bisounours ? On commence à vraiment le penser. Le lieu est bien trop agréable, y'a quelque chose qui cloche. Heureusement, NEMOST vient nous balancer les enfers à la gueule parce que ça commençait à virer un peu hippie. Le côté jardin, sûrement. Côté cour, en tout cas, ça ne rigole plus : voilà plus de dix ans que NEMOST peaufine son death mélodique et le son est lourd, violent, monumental. Ça cogne à mort et l'ambiance déjà survoltée vire au dément devant la scène. Ça slam à tout va : hommage au mec qui tombe en arrière et se retrouve la tête coincée entre la scène et la micro-barrière, il a dû avoir super mal, c'était marrant et un peu flippant. Au jeu des tee-shirts portés ce jour-là, NEMOST est d'ailleurs en tête avec MALEMORT et ça se sent. En plus leur chanteur, Arnold, a vraiment une dégaine pas possible avec son regard de fou furieux... Mais la façade cède vite et se fait fracasser par des sourires sincères adressés à un public totalement conquis. 

PRINCESSES LEYA

Vous l'avez compris : on se marre plutôt bien au Kave Fest. Chaque groupe remercie l'organisation, les types à l'entrée, les gens au bar, etc. Et ils le méritent, parce que c'est vraiment du bon boulot. Le seul problème c'est qu'il est difficile de profiter du barbecue tout en semant mort et destruction devant la scène, du coup y'a plus de merguez ni de burgers quand arrive l'heure de PRINCESSES LEYA. C'était pourtant le moment de souffler : la parenthèse comédie-metal proposée par les humoristes Dedo et Antoine Schoumsky tombe à pic pour retrouver ses esprits. Accompagnés d'une bassiste et d'un batteur, ils enchaînent petits sketchs et reprises (on a droit à Makeba de JAIN, un peu de CÉLINE DION et une version de Boys de SABRINA à la sauce RAMMSTEIN renommée Balls parce que bon, les métalleux, ils aiment ce qui a des couilles). Les vannes fusent, le groupe rend hommage aux princesses mortes, on se moque des métalleux et des nazis (en même temps, ces gens là n'existent que pour qu'on se moque d'eux), mais aussi des filles, des ustensiles, des crabes... Bref, c'est n'importe quoi. Pas sûr qu'on se souvienne plus que ça de la musique à la fin, mais PRINCESSES LEYA proposait une parenthèse bienvenue, un truc absurde qu'on n'avait jamais vu ni entendu avant et qui a le mérite d'avoir lancé un Wall of Love (comme un wall of death mais avec des calins). 

Et alors que l'ambiance virait à nouveau un peu trop hippies pendant PRINCESSES LEYA, qu'on ne sait toujours pas qui est ce putain de Mick Jagger et qu'on n'a pas de nouvelles du cadavre de Salamèche, une véritable star a pointé le bout de son nez : le mec avec son drapeau breton. Ok, Chatou c'est dans l'ouest, mais à ce point ? Il n'était pas annoncé, mais tout le monde savait qu'il serait bien là, sa présence annoncée il y a des années dans un article du Gorafi toujours pertinent.

MALEMORT

Les autres stars, c'est MALEMORT. Une semaine après la Main Stage du Hellfest (ils nous racontaient ça en interview), les six musiciens se retrouvent sur la petite scène du Kave Fest et sont fermement attendus par une horde de fans. Ça doit leur faire drôle, mais il est probable que l'accueil ait été plus fou ici à Chatou qu'à Clisson. Comme quoi, c'est pas dans les vieux singes qu'on vend la peau de l'ours. Il se passe d'ailleurs vraiment "quelque chose" pendant leur set : impossible de savoir qui du groupe ou du public semble nourrir l'autre de son énergie folle, mais l'ambiance est électrique. Ball Trap, Cabaret Voltaire, Carnaval Cannibale : la foule chante les paroles et Xavier, le chanteur, suit l'exemple des précédents artistes en prenant un bon bain de foule. MALEMORT, c'était fou, hystérique presque : avec leur identité visuelle forte (ils sont tous en chemise... tant qu'elle ne tombe pas) et leur son si atypique qui mélange metal, rock et punk, les six musiciens ont assuré le show.

ACYL

La nuit a fini par tomber sur Chatou. Les petits retards accumulés ici et là ont provoqué un décalage de presqu'une heure au final et c'est dans la pénombre que démarre ACYL. Pas de décompte sur un écran cette fois, le groupe démarre avec Mercurial immédiatement, rejoint par leur chanteur Amine une fois l'intro passée. On note cependant l'absence de Reda, un des deux guitaristes, remplacé ce soir. Leur musique, mélange de musique traditionnelle berbère et de metal est toujours aussi jouissive. Avec leurs grands sourires, leur charisme qui les rend immédiatement sympathiques et leur message de tolérance et de brassage culturel, les musiciens d'ACYL proposent quelque chose de tellement nécessaire aujourd'hui que les voir fait toujours autant de bien. C'est le troisième concert du groupe en région parisienne cette année après la Boule Noire et la Machine, et on sent que le public est rodé. Peut-être poussé par une horloge qui ne fait que tourner, Amine communique un poil moins que d'habitude, même s'il demande toujours à voir "des cheveux et des nuques" (tout en cachant toujours les siens, de cheveux) et qu'il prend le temps à la fin de remercier les voisins, parce que les pauvres n'ont quand même rien demandé et entendent une horde beugler depuis 15h. Comme à chaque fois, ACYL c'était génial. Mais alors ACYL dans un jardin, la nuit, avec des copains et quasi aucun éclairage, alors que des nuages de terre et de poussière nous voilent la vue, ça avait quelque chose de carrément magique en plus d'être le groupe idéal pour conclure ce festival hors du commun.

La troisième édition du Kave Fest s'est terminée comme prévue, vers 23h. C'était absolument génial, non seulement parce que le lieu est improbable et l'équipe derrière tout ça est au top, mais aussi parce que l'affiche était belle, les groupes ont partagé avec un public une sincère joie d'être là. C'était presque intime, entre copains quoi, et c'était top. Sold-out, le Kave Fest aura droit à une quatrième édition. On a hâte, on espère que ça sera toujours aussi bien, et on souhaite bien du courage à Sélim qui doit maintenant trouver comment pousser les murs de son jardin, et surtout, redonner vie à sa pelouse qui a quand même pris super cher.

Et on a toujours aucune idée de qui est Mick Jagger.