DOOL et la France (du moins Paris) est une histoire que l'on suit et vit avec plaisir : avec sa mini-tournée automnale en France et en Belgique, le groupe néerlandais passait donc nos frontières pour la troisième fois en douze mois, un an après la superbe tournée avec Hangman's Chair et quelques mois après leur passage au festival Motocultor. C'était cependant leur premier passage en tête d'affiche depuis un concert magnifique à Petit Bain en 2022, soirée d'une puissance rare dont la simple évocation provoque encore aux présents, peu nombreux, des frissons. Ce soir, on peut constater que la persévérance de DOOL porte enfin ses fruits : à force de passages remarqués lors des gros festivals, à force de venir, mais aussi grâce au succès de leur dernier album The Shape of Fluidity, le Backstage by the Mill est bien rempli dès le début de cette soirée organisée par Garmonbozia. Ça va être bien, c'est sûr, on n'en a jamais douté. La sono nous accueille avec Black Sabbath, un choix judicieux en attendant la première partie Witchorious.
WITCHORIOUS
Le trio fait parler de lui. Apparue il y a peu (le premier album éponyme date d'un an et demi), la formation doom mystique ne vient pas de loin et se forge, concerts après concerts, une solide réputation. Du monde porte leurs tee-shirts dans les premiers rangs, ça discute : "oui, ils ont changé leur intro", il y a des experts ! Aux couleurs des cheveux (enfin à LA couleur des cheveux, hein), on soupçonne certains d'être la famille venue soutenir les petits prodiges, c'est choupi ! Mais n'allez pas imaginer que Witchorious en est encore au stade de "petits" : quand le trio composé d'Antoine Auclair (chant / guitare) et des frères et soeurs Paul (batterie) et Lucie Gaget (basse / chant) arrive sur scène, il y a du monde pour les encourager. Récemment, ils jouaient au Desert Fest en Belgique, à l'Empreinte de Savigny-le-Temple ou encore au festival Les Lunatiques. Ils sont partout.
C'est avec le groove menaçant de Watch Me Die que commence leur concert, mélange d'incantation et de rituel aux influences horrifiques et psychédéliques. Antoine grimace et rugit, immédiatement très expressif. La pesanteur du son évoque des monstres gothiques alors que le propos, lui, rend hommage aux figures marginalisées et ambigües (The Witch, Monster). Ces trois-là jouent à nous faire frissonner, mais on sait tous de quel côté on est, hein, et ce n'est certainement pas de celui des moldus qui brandissent fourches et piques à la moindre occasion !
Lucie répond à Antoine, dans un registre moins démonstratif que son exubérant collègue et apporte contraste et nuances. Witchorious a le sens du rythme et du théâtre, c'est indéniable (et accrocheur), mais n'en oublie pas pour autant une forme de rage spontanée, une envie de nous remuer. On apprécie d'ailleurs la variété qu'apportent les nouveaux titres, dont les touches atmosphériques permettent à la fois de respirer et d'éviter la routine tout en étoffant l'univers. C'était très sympa, ce qu'il faut de trucs bizarres et monstrueux qui boitent dans l'obscurité (non, on ne parle pas des gens qui se dirigent vers le bar entre les deux concerts) et de gros riffs. On attend désormais de voir quels terrains Witchorious ira explorer, on a hâte de les voir injecter du sang neuf à leur son... et nous aurons probablement bientôt de nouveaux éléments de réponse, puisque le trio semble bien parti pour continuer à hanter les scènes françaises, avec notamment une petite tournée en compagnie des occultistes de Ponte Del Diavolo en mars prochain !
DOOL
C'est la quatrième fois que l'on voit DOOL sur cette tournée. Est-ce qu'on ne risquerait pas de se lasser, à force ? Franchement, on sait tous que la question est rhétorique, mais juste au cas ou : non, bien sûr, il suffit que le temps se suspende à la voix de Raven au moment d'entamer The Shape of Fluidity en ouverture, puis que le son explose, ample, nous enveloppe et nous emporte, que l'on s'y noie comme un océan fait de tempêtes poétiques et intimes, et que ce refrain puissant et résiliant nous submerge pour être fixé. Non seulement on ne s'en lassera jamais, mais, concerts après concerts, on a l'impression que DOOL continue de gagner en force. Ça a commencé depuis six minutes et c'est déjà si intense qu'on a l'impression d'avoir gravi des montagnes. Des océans, des montagnes : avec DOOL, on voyage et on les suit bien volontiers absolument n'importe où.
Après un Hellfest en plein jour et un Trabendo un peu trop lumineux et spacieux, on réalise combien DOOL s'apprécie dans la pénombre, que ce soit sous une tente après minuit au Motocultor ou dans l'espace intimiste du Backstage by the Mill ce soir, les ténèbres et la proximité facilitent la connexion avec des titres plus progressifs, plus complexes, que l'on finit par apprivoiser et s'approprier comme les anciens. Les trois guitares se répondent, le son remplit l'espace. On essaye de profiter de l'instant, mais tout file bien trop vite : à peine commencé que déjà, on appréhende la fin de cet instant fugace. DOOL vient d'un mot pour désigner l'errance et toute leur carrière semble placée sous le signe du changement, du mouvement perpétuel, de l'évolution et de l'adaptation. Pour paraphraser le titre de leur premier album, maintenant ils sont là, puis ils seront ailleurs, DOOL est insaisissable... Mélancolique, rageur, mystérieux mais aussi plein d'espoir, maniant avec subtilité l'ombre et la lumière, DOOL est à l'image de la vie dans toutes ses nuances, son tourbillon d'émotions. Sur scène, les morceaux les plus récents retentissent avec une puissance décuplée par l'implication du groupe. Auto-dissection physique et psychologique, DOOL se livre corps et âme à son public et le terme "viscéral" est ici particulièrement approprié tant on sent que la musique vient des tripes.

Quand Wolf Moon jaillit, on a toujours ce pincement au coeur pour Summerland, magnifique album sorti au début d'une pandémie qui le privait d'une existence live digne de ce nom. Il est difficile de ne pas penser à la cruelle ironie mais aussi à la poésie du sort ce cet album ayant pour thème la mort, disque presque mort-né dont il a fallu faire le deuil presque immédiatement alors qu'il parlait justement de lâcher prise, de laisser les choses s'en aller. Puis The Alpha nous ramène aux premières heures de DOOL, mystiques, hypnotiques. House of a Thousand Dreams offre une pause introspective et onirique, alors que le guitariste Omar Iskandr, auteur de la chanson, prend la place au chant occupée en studio par Kim Larsen d'Of the Wand & the Moon.
Puis, c'est déjà l'heure du crescendo final. Hermagorgon, hymne combatif et personnel, s'extirpe de Raven comme un cri vital, un truc nécessaire pour exister, à la fois rageur et apaisant. Iel y insuffle ses souffrances, ses doutes, ses interrogations, ses combats pour exister pleinement et les transforme en quelque chose de beau qui restera longtemps après nos brefs passages en ce monde, quelque chose qui parlera à d'autres personnes traversant les mêmes souffrances, les mêmes interrogations. Finalement, DOOL termine son set avec le morceau par lequel toute cette aventure commençait il y a dix ans, Oweynagat, apothéose dont chaque riff semble saigné sur scène par la bande, leurs cheveux trempés s'agitant ensemble sous les spots du Backstage.
Alors que les guitaristes Nick Polak et Omar Iskandr semblent faire le concours de qui a la plus belle chemise avec le batteur Vincent Kreyder, le bassiste JB Van der Val passe comme d'habitude tout le concert trempé et le regarder est déjà un exorcisme en soi. Ses chemises à lui ne sont pas là pour être admirées, elles sont là pour SOUFFRIR. Enfin, il y a le charisme de Raven, sa façon d'incarner les titres, d'inviter son public dans cet univers en alternant regards noirs habités et immenses sourires bienveillants, cette énergie sauvage qui s'empare de la musique pour lui donner une dimension nouvelle en live. Aurait-on aimé être plus surpris par la setlist ? Oui et non : les morceaux sont joués avec une telle détermination, une telle vigueur, une telle générosité, qu'on a encore et toujours l'impression de les redécouvrir. En fait, on aurait aimé que ce moment irréel et déjà terminé dure une éternité et que DOOL nous joue tout son répertoire, dix fois de suite. Peut-être qu'un jour nous entendrons à nouveau Vantablack, Golden Serpents, In Her Darkest Hour, Dust & Shadow... ou peut-être pas. Et ce sera très bien comme ça aussi, parce qu'il y aura les nouveaux titres et qu'ils déchirent tous ! C'est ça aussi, la beauté du deuil : savoir dire au-revoir à ce qui disparait pour mieux accueillir ce qui est là maintenant... puis sera ailleurs plus tard.
DOOL a dix ans et s'apprête à les fêter sur scène dans leur pays natal avec un mini-festival à l'affiche affolante. En dix ans, on a parfois cru que nos coeurs allaient se briser, comme quand cette fichue pandémie amputait Summerland puis, quand enfin DOOL revenait sur scène à Paris pour jouer face à une salle loin d'être pleine. Cette fois, c'est la bonne : la salle était blindée, DOOL commence enfin à recevoir l'accueil qu'ils méritent dans notre pays. Ça ne fait donc que dix ans qu'on se passe leurs morceaux en boucle, nous rappelant cette époque quand on était ados, qu'on découvrait un nouveau truc super avec l'impression de pouvoir n'écouter plus que ça pour le reste de notre vie. Avec sa sincérité, son efficacité, sa force et sa poésie sombre et romantique, DOOL nous fait renouer avec ce sentiment : on pourrait n'écouter plus qu'eux jusqu'à la fin des temps. Ne faites pas ça, continuez d'être curieux, de découvrir, d'écouter plein de choses. Mais surtout, écoutez DOOL et allez voir DOOL ! Les dix années à venir de leur carrière seront trépidantes.





















































