Dix ans sans album de NINE INCH NAILS ? On vous donne de quoi combattre le manque

Pierre Sopor 29 novembre 2023

En 2013, Nine Inch Nails sortait Hesitation Marks. Dix ans plus tard, bien que l'on puisse considérer que la trilogie d'EPs sortis en 2016 et 2018 forment un ensemble satisfaisant, aucun "vrai" nouvel album ne semble prévu (pardon pour Bad Witch, que l'on range parmi les gros EPs : il était prévu comme tel et a finalement étiqueté "album" pour attirer plus d'attention, les formats "courts" ayant tendance à être ignorés). Trent Reznor, désormais un gentil papa très occupé à être un monsieur respectable qui compose pour le cinéma, explique même à qui le lui demande qu'il ne voit pas l'intérêt d'en ressortir un pour le moment.

On vous propose aujourd'hui de lutter contre l'état de manque en vous offrant de nouvelles pistes à explorer avec six projets dont le travail peut, d'une manière ou d'une autre, séduire les amateurs de NIN. On vous épargne les inévitables clichés qui mélangent allégrement tout et n'importe quoi en resservant n'importe quel artiste étiqueté "industriel", mais aussi les noms qui reviennent systématiquement depuis les années 90 (Filter, Tweaker, Stabbing Westward, Sister Machine Gun, etc) pour nous concentrer sur des projets bien plus confidentiels ou "étonnants"... On a brassé large, des plus fidèles disciples aux bizarreries audacieuses, des sons qui rappellent la fin des années 80 à ceux plus actuels, et, histoire de faire un peu de local, nous mettons également en valeur plusieurs projets français.

Le plus fidèle : LATx

LATx sortait des ombres il y a un an et demi avec un premier EP suivi d'un album paru début 2023, Hard Muscles & Hate (chronique). Le projet ne cache pas ses ambitions : LATx assume son côté archi référentiel, nostalgique même. Mélange d'EBM et de rock industriel échappé des années 90, leur musique rappelle inévitablement Pretty Hate Machine. On y trouve ce même parfum jouissif, à la fois séduisant et dangereux. La démarche est sincère et le résultat fonctionne carrément.

 

Le plus énervé : Null Split

"Nine Inch Nails is Trent Reznor" : même si ce n'est plus aussi vrai depuis qu'Atticus Ross a rejoint le patron, la phrase est restée. Eh bien, "Null Split is Antoine Kerbérénès", alors. Multi-instrumentiste aussi éclectique que prolifique (cette année, il a sorti un EP mélangeant neofolk, black metal et post-punk avec Marble Dagger mais aussi un album de Dague de Marbre, projet EBM / indus / darkwave), il est actif avec Null Split depuis 2017. Des influences EBM rageuses, des guitares impitoyables, un chant incisif qui ressemble à un crachat d'émotions pures balancées en pleine gueule et tout un foutoir de bruits de machines ? Null Split rappelle le NIN "primitif", quelque part entre Pretty Hate Machine et Broken, un boulet de démolition enragé qui mord aussi fort qu'il donne envie de remuer frénétiquement. On vous recommande particulièrement l'écoute de l'EP Waste (dont on vous parlait plus longuement par ici.)

 

Le plus méchant : Drownd

"Drownd is Joe Crudgington" : avec l'artiste anglais apparu sur nos radars en 2019, on avance de quelques années pour ressusciter le souvenir de The Downward Spiral et Broken. De Nine Inch Nails, Drownd retient cette noirceur viscérale, cette envie de s'arracher les tripes et de dégueuler toute la négativité possible. Crudgington a un sacré atout : sa voix grave, puissante, capte l'attention et insuffle à la musique sa personnalité. Il y hurle sa rage et sa frustration, torturé par les machines et guitares, souvent très lourdes. Son rock industriel a cette saveur authentique, poisseuse et méchante typique du travail de Reznor au milieu des années 90 (on pense aussi à Antichrist Superstar de Manson), mais il dépoussière tout ça en y ajoutant un supplément de lourdeur et des influences trap et hip-hop plus ou moins discrètes.

 

Le plus "fragile" : Kloahk

"Kloahk is Paul Prevel" : s'il est désormais aussi très occupé au sein du groupe de metal industriel Shaârghot, le musicien n'en néglige pas pour autant son projet solo. Par "fragile", nous voulions évidemment évoquer l'album de 1999 : moins violent que les projets cités plus haut, Kloahk laisse une plus grande place à la mélancolie et une forme de poésie. En donnant vie à un univers fait de fantômes cathodiques et de VHS poussiéreuses, rappelant l'esthétique de l'analog horror, Paul Prevel utilise le passé pour moderniser la recette à grand renforts de sons étranges et d'électroniques accrocheuse. On pense à Gary Numan, quand il s'est mis à faire comme NIN. L'ombre de Reznor plane souvent sur le travail de Kloahk et on vous invite à vous perdre dans la piste ci-dessous, Once Upon a Story.

 

Celui qui s'incruste au repas de famille : Divine Shade

Ce n'est pas pour rien si Divine Shade a récemment collaboré avec Kloahk. Le groupe lyonnais partage en effet avec Paul Prevel le goût de l'électronique en nuances, de l'élégance et de la contemplation maussade qui laisse, le moment venu, la place à quelques explosions énervées. Ces derniers temps, Divine Shade, petit à petit, s'est entouré à l'occasion d'artistes assez prestigieux : Chris Vrenna, membre de NIN de 89 à 97, remixait Stars et Steve Fox-Harris, guitariste de Gary Numan avec qui Divine Shade tournait récemment, était invité sur Oublier. On pique les copains des autres, mais c'est comme ça que ça se passe en famille. Le groupe travaille actuellement à de nouvelles choses, on vous laisse alors avec ce dernier morceau en date.

 

La plus moderne : Halsey

Sur celle-là, on triche un peu : If I Can't Have Love, I Want Power, paru en 2021, a été produit par Trent Reznor et Atticus Ross, plongeant la musique de l'artiste pop en eaux troubles et glacées. Le résultat est aussi insolite que fascinant : dans les meilleurs moments de l'album, d'austères claviers et de brumeuses nappes se superposent à la voix séduisante d'Halsey et ses refrains accrocheurs. Point de passéisme ici, au contraire : on y reconnaît bien la patte actuelle du duo, qui se risque à s'associer à "des trucs de jeunes". On en ressort avec l'impression que NIN s'est trouvé une voix plus charismatique et grand public avec Halsey, ou qu'au contraire les deux pépés bougons viennent casser l'ambiance. Ce qui restera probablement un one-shot est certes inégal et trop long mais contient quelques perles de pop sombres aux tentations noise, industrielles et atmosphériques, construisant un pont entre des expérimentations sévères et une essence plus accessible. On vous propose deux morceaux assez différents, dont un où Reznor se fait entendre pour une de ses rares apparitions vocales de ces dernières années.