[Cinéma] La Proie d'une Ombre

[Cinéma] La Proie d'une Ombre

Pierre Sopor 25 septembre 2021

Titre : La Proie d'une Ombre (The Night House)
Réalisateur : David Bruckner
Année : 2021
Avec : Rebecca Hall, Sarah Goldberg, Vondie Curtis-Hall, Evan Jonigkeit
Synopsis : Une jeune veuve découvre les secrets troublants de son mari récemment décédé.

En 2017, David Bruckner se faisait remarquer avec Le Rituel, film d'horreur sorti sur Netflix envoyant un groupe d'amis vivre une expérience cauchemardesque en forêt. La proposition était solide dans le genre pagan horror, notamment grâce à une créature particulièrement réussie et une atmosphère lourde. Dans La Proie d'une Ombre, sorti en salles le 15 septembre 2021 en France, il est à nouveau question de deuil, un sujet en or dans le fantastique et très présent ces dernières années. Il y a même une forêt, en quelque sorte : la maison de Beth est isolée et entourée d'arbres. Mais pas de groupe d'amis ici, on ne s'intéresse qu'au seul personnage incarnée par Rebecca Hall.

Parmi les points forts de La Proie d'une Ombre, il faut peut-être souligner en priorité la performance de l'actrice qui retrouve là un rôle bien plus à la hauteur de son talent que ses passages anonymes dans tel ou tel blockbuster. Son regard, ses grimaces, sa stature et la justesse de ses répliques créent l'empathie pour son personnage qui découvre que son mari aimant Owen, s'étant fraichement suicidé, semblait lui dissimuler une obsession pour d'autres femmes brunes... Cet attachement est d'autant plus nécessaire que tout le film se déroule donc de son point de vue, qu'il nous faut accepter, alors qu'une étrange présence de plus en plus inquiétante se manifeste dans sa maison.

La Proie d'une Ombre n'impose pas un rythme trépidant et ne vous fera pas sursauter (ou bien seulement une fois, allez). Le film a l'intelligence de raconter son histoire et de prendre le temps de nous plonger dans les mystères de cette maison. Loin d'une énième production insipide, on voit le soin apporté par Bruckner dans les détails, que ce soit l'écriture d'un dialogue ou la direction de son impressionnante comédienne, qui fait exister son personnage de manière crédible. Mais ce sont surtout les idées de mise en scène qui détachent La Proie d'une Ombre des productions plus basiques.

Malin, Bruckner utilise sa mise en scène pour suggérer une présence surnaturelle... par l'absence. Pas besoin de montrer un fantôme en haillons se contorsionner dans un coin, bien au contraire : c'est dans le vide laissé par le suicide de son mari que Beth voit des fantômes : ainsi, une silhouette se devine dans l'espace entre deux meubles, dans une ombre sur le lac, sans que l'on sache s'il y a vraiment quelque chose ou s'il s'agit d'un simple effet d'optique. Une présence dans l'absence : l'idée est maline d'un point de vue formel mais aussi thématique, puisqu'elle rappelle le vide laissée par la disparition d'Owen, le rien, et donc le deuil de Beth.

Bruckner souligne aussi avec sa camera et ses cadres l'idée d'un "autre côté", un au-delà qui se positionnerait en miroir opposé à notre réalité : Beth scrutant l'obscurité par sa fenêtre, son seul reflet se dégageant des ténèbres, Beth découvrant une maison identique à la sienne mais construite en miroir dans les bois, un dialogue où la caméra glisse sur le côté et brise nos repères spatiaux entre les deux personnages tout en suggérant un transfert et enfin, Beth observant d'étranges choses dans son miroir...

La Proie d'une Ombre évite bon nombre de pièges et sait recycler intelligemment les clichés du genre. Certes, la dernière partie est un peu brouillonne et précipitée et on aurait parfois aimé que le jeu de présence / absence soit plus subtil, de manière à nous faire douter plus longtemps. Mais grâce à une écriture soignée, un personnage fort, une actrice impeccable et sa mise en scène maline, Bruckner propose un film personnel et bien plus attachant que la majorité de la production fantastique actuelle. Et si cette maison hantée par une présence mystérieuse, qui semble presque se nourrir des tâches de sang laissées sur son sol, ou si les clous plantées dans une intrigante statuette vous rappellent quelqu'un, alors gardez en tête que Bruckner réalisera prochainement le nouveau Hellraiser, redonnant peut-être enfin à la saga initiée par Clive Barker son prestige passé !