Chronique | Xomo - Harfangs

Pierre Sopor 28 novembre 2020

XOMO arrive avec son lot de mystères. Alors certes, de l'indus bruitiste, par essence, ça ne se fait pas sous le feu des projecteurs. Ajoutons à cela que le projet se proclame anti-moderne, voire préhistorique, et on comprend qu'il n'inonde pas les réseaux sociaux de selfies ou autres délires promotionnels. D'ailleurs, il y a fort à parier que XOMO ne fasse pas dans le people et peu nous importe le visage de l'artiste : on n'est pas là pour le demander en mariage mais pour être transporté par ses décibels.

Il faudra donc faire avec ce que l'on nous donne comme info et ce que l'on devine : l'artiste derrière l’œuvre est actif depuis 1989 et prend le nom de XOMO à partir de 2004 pour plusieurs performances ambient et powernoise, bien qu'il se produise parfois sous d'autres noms. Dans les années 90, il lui est arrivé de proposer quelques concerts confidentiels dans des lieux insolites... Il a également collaboré avec ASTREINTE (harsh power violence), MERRY CRISIS et ANTRE. Comme CAMECRUDE, autre projet du très estimable label Cioran Records, XOMO est pessimiste, obscur, mystérieux et intransigeant. Ajoutons à cela qu'on y retrouve également la trace du poète Emile Cioran et un attachement aux Pyrénées :  le Harfang des neiges est un hibou qui vivait dans la région lors de la dernière Ère Glaciaire et que l'on trouve aujourd'hui au Canada. Voilà qui pose un contexte et dresse les contours brumeux d'une personnalité mystique et énigmatique qui a de quoi intriguer. Enfin, Harfangs a été enregistré à 99% en une seule prise lors d'une performance unique et privée fin septembre... dans les Pyrénées Atlantiques.

Cinq morceaux pour une plongée abyssale d'une heure dans l'univers antimoderne de XOMO, à une époque bien moins aseptisée, avant que notre société ne soit nécrosée par la résurgence d'idéologies nauséabondes, l'asservissement à l'économie et le désastre écologique, voilà ce que propose l'album. Harfangs a des airs de rituel ancestral, avec sa longue entrée en matière sur Leherenn où des plages atmosphériques se font de plus en plus dissonantes avant qu'un rythme primitif ne lance doucement la transe. Le son est agressif, caverneux et, en dépit de l'électronique et peut-être grâce aux improvisations, évoque effectivement quelque chose d'ancien, de monolithique, un truc qui remonte au temps où les nuits étaient noires et froides. Ne vous laissez pas leurrer par les pulsations de Basa Yaun et ses bouip-bouip de l'espace, XOMO n'est pas là pour mettre le feu au nightclub, vous l'aurez compris. Pourtant, malgré des envolées bruitistes à la frontière de l'inaudible (Nous, les Troglodytes... avec ses larsens et son final apocalyptique), la structure des morceaux est assimilable et, dans sa répétitivité hypnotique, a quelque chose de chamanique. On peut même dire qu'en plus d'emporter notre âme, la musique finit par avoir un effet physique palpable, tant le final apaisé et acoustique de l'intense Baesert apporte avec lui un réel soulagement.

On ressort de Harfangs secoué, forcément. Les petits malins demanderont si leurs enceintes déconnent, comme il se doit avec tout œuvre noise. Pourtant, il faut bien admettre que, grâce à sa durée, ses rythmes répétitifs et un sound-design évocateur, insufflant une réelle angoisse à certains passages, Harfangs finit par nous hypnotiser et nous faire voyager très loin, vers un univers certes très sombre mais sans fioriture, sans triche et qui résonne au plus profond de nous de manière authentique. On vous laisse avec l'artwork dans son intégralité, au format inhabituel, ainsi qu'une citation de Cioran.

L'idée de progrès fait de nous des fats sur les sommets du temps ; mais ces sommets n'existent point : le troglodyte qui tremblait d'effroi dans les cavernes, tremble encore dans les gratte-ciel.