Chronique | Virginia B. Fernson - She Left the Devil for Fire

Pierre Sopor 16 février 2019

Nouveau projet de Virginia B. Fernson (SKINSITIVE), She Left the Devil for Fire se révèle enfin au grand jour via un long EP ambitieux. She Left the Devil for Fire est un disque sur le traumatisme sous plusieurs formes, rien que ça. Au sujet, forcément délicat à aborder, s'ajoute en plus l'absence totale de paroles : SLTDFF est un projet purement instrumental.

Raconter quelque-chose sans les mots, c'est ce que fait la musique depuis toujours. Ainsi que le cinéma, quand c'est bien foutu. Ou même une image. Alors pourquoi pas ? D'ailleurs, l'EP ne raconte pas une histoire mais quatre, une par traumatisme. Il y a la première partie, The Devil, qui évoque ces différents traumas, puis la seconde qui raconte comment les vaincre, les "sublimer par le feu" : The Fire. Les premières note de piano de She, The Devil, One ne mentent pas : on y reconnaît tellement le style de la compositrice, ce style torturé et tortueux ! Elle a beau chercher à s'affranchir de l'étiquette industrielle qui lui collait un peu trop aux baskets, comment ne pas penser à NINE INCH NAILS période The Fragile, encore et toujours, quand on entend ce clavier ? Ou les percussions au début de She, The Devil, Three ? C'est avec un réel plaisir que l'on retrouve dans ce nouveau projet son goût pour les ruptures violentes (ces guitares qui viennent crier et suer à la moitié de ce premier morceau) mais aussi la subtilité des émotions exprimées. Les tourments exprimés sont régulièrement teintés d'une note d'espoir qui vient contrebalancer la mélancolie générale. She Left the Devil for Fire est un disque hanté (l'atmosphère de She, The Devil Four est glaçante, la tension monte jusqu'à ce que seul le piano ne survive), parfois expérimental : il y a ces percussions dissonantes au début de She, The Devil, Two qui semblent fuir devant un nouvel assaut de guitare tout en spleen avant un final au piano seul, encore et toujours.

Et puis il y a ces moments en apothéose, qui respirent, qui explosent. On peut mentionner la guitare sur She, The Devil, Three qui contraste avec la lourdeur de la batterie, mais c'est surtout vrai dans la deuxième partie de l'EP, forcément. Aux chiottes le diable, brûle saloperie ! La vie et l'espoir pointent le bout de leur nez dans la rageuse She, The Fire, One, alors que She, The Fire, Two est plus dans l'apaisement. She, the Fire Three, avec ses riffs badass qui semblent sortis d'un film d'action des années 80 sent bon la grosse vengeance : comme quoi, on peut sortir un EP instrumental, parfois alambiqué, et quand même sortir des trucs bien jouissifs, à grands coups de grosse guitare décomplexée et de piano fou, voire jazzy (She, the Fire, Four). Evidemment, un trauma laisse des traces et ce n'est pas non plus particulièrement gai : les conclusions des morceaux restent emplies de fantômes : il y a toujours dans l'EP cette maîtrise de la nuance, aussi bien musicale qu'émotionnelle, qui déjà fonctionnait à merveille dans SKINSITIVE.

Au-delà du plaisir de retrouver Virginia Fernson avec un projet à nouveau fascinant et ambitieux dans lequel elle semble se libérer et se lâcher totalement, affranchie des contraintes posées par le chant et le fait de travailler en groupe, She Left the Devil for Fire propose un univers fort. Avec sa guitare libérée et son piano expressif et virtuose, l'artiste réussit à nous communiquer les histoires et les émotions qu'elle veut exprimer et se permet en plus d'essayer des choses un peu tordues sans jamais perdre le sens de la pertinence et de l'efficacité. C'est à la fois lourd et aérien, intelligent et prenant. On ne sait pas si cet EP, qui a mis du temps à finalement sortir, aura un jour une suite ou pas mais en l'état peu importe : l'oeuvre se suffit à elle-même.