Chronique | Traître Calin - XIII EX-VOTOS

Pierre Sopor 12 octobre 2020

Il y a deux ans, nous découvrions TRAÎTRE CALIN grâce à l'EP Par Traîtrise et le rap bruitiste et industriel du duo Corse nous avait saisis avec ses audaces noise et son verbe acéré. Depuis, on était sans nouvelles des deux artistes, dont la turbulence égale la discrétion... Autant dire que ce premier album qui sort chez Solium, distribué par Atypeek, masterisé par Arthur Rizk (GHOSTEMANE, CODE ORANGE), arrive comme le messie.

Alors il faudrait la voir, la tronche de ce messie : imbibé, déglingué et sacrément cynique, bien sûr, et toujours avec ce goût du contrepied, comme un coup de poignard offert sournoisement en plein câlin. Les percussions martiales de Saoul de Sang et les vagissements de Libre Ebriété nous plongent d'emblée dans cet univers si particulier, delirium tremens amusant et putride à la fois. Les synthés, poisseux et menaçants, entament un travail de sape sur notre raison et ouvrent la voix aux textes à la méchanceté et l'ironie mordante, qui nous rappellent que le blasphème n'est pas qu'un droit, c'est aussi un devoir ET un plaisir, le tout bercé par un surréalisme frénétique paradoxalement poétique. Il y a une grâce certaine qui se dégage de ce tourbillon hargneux et sinistre, de cette énergie folle et décalée qui s'extirpe d'une lourdeur souvent macabre.

TRAÎTRE CALIN présente son album comme une suite "d'anti-prières jetées à la gueule décomposée des divinités déjà mortes depuis, Dieu merci, bien longtemps" : tout est dit. On apprécie la noirceur viscérale qui se dégage de l'ensemble (que ce soit l'agressive Arme Automate -faut-il y voir un jeu de mot ?- ou la plus mélancolique Noir de Néant avec ses nappes atmosphériques). Les morceaux sont courts, percutants et se succèdent comme une danse incontrôlée qui dégénère petit à petit, un truc pas calculé aux airs parfois enfantins dont on craint presque l'évolution (la bien nommée Dorica Castra et ses paroles qui pleuvent comme autant de prophéties d'ivrognes improvisées façon écriture automatique). Le duo se lâche et s'amuse, quelques mélodies squattent nos tympans (Agonie Agacée, Odieuses Odes, Vaine Déveine...) alors que les textes, crachés et scandés, nous collent aux tripes jusqu'à nous faire tourner la tête.

Après un truc aussi désinhibé et inclassable, malin et pas sage, forcément, le retour à la réalité risque d'avoir un sale goût de gueule de bois. XIII EX-VOTOS est un tourbillon ludique qui réussit à avoir l'air érudit dans sa crasse, sa bassesse et ses élucubrations alcoolisées. C'est un OVNI anxiogène et drôle, rafraichissant et puant. Bref, c'est surtout une œuvre jouissive et intègre, un monstre indomptable et libre comme on aimerait en entendre plus souvent, qui caresse dans le sens du poil nos envies de provocations adolescentes et de punchlines tout en s'adressant finalement à notre âme de manière bien plus profonde que ce que les apparences peuvent laisser deviner.

Il est là, finalement, ce coup de couteau que le duo nous colle en traître : on se laisse bercer par ces méchantes ritournelles faussement régressives, ce délire d'affranchis incontrôlés, et on en sort finalement avec le plaisir de ne pas avoir été pris pour des veaux venant consommer un énième produit interchangeable. C'est finalement dans la fange que se produit le miracle : en nous dégueulant son premier album fou et malsain au visage, TRAÎTRE CALIN nous offre finalement l'élévation spirituelle. Buvez, ceci est mon sang : le sacré, ça bel et bien a toujours été un truc de pochtrons (et de cannibales).