Chronique | The Below - Immutable Decay

Pierre Sopor 11 juin 2024

Le Suédois Bo Magnusson aime les profondeurs : autrefois bassiste d'un groupe expérimental Dr. Evil & The Boys From Below, arrêté en 1992, il est à la tête de The Below depuis bientôt une dizaine d'années. Sa production ne suit pas vraiment les rails habituels puisque l'artiste n'a, finalement, qu'émietté quelques singles au fil des ans, invitant différentes voix à se poser sur ses compositions. Nous sommes donc bien contents de pouvoir nous plonger dans un premier ensemble, l'EP Immutable Decay, enregistré avec son fidèle collaborateur Aaron Sutcliffe (alias fictif utilisé par Johan Malmgren du groupe de synthpop S.P.O.C.K.).

Ce qui fascine d'emblée avec The Below, c'est cette réappropriation du terme "industriel" : on revient à la racine avec le détournement de sons métalliques à des fins musicales. Est-ce le moment de préciser que non, vous n'allez pas danser ? The Below aime les rythmiques lentes, lourdes, oppressantes, les textures qui ont l'odeur de la rouille et qui évoquent des paysages abandonnés et probablement hantés... D'ailleurs, le contraste avec ce chant très expressif fonctionne très bien, soulignant l'étrangeté de The Below, lui conférant une déviance théâtrale parfois à la frontière du théâtrale, voire du grotesque et de l'horrifique (la scansion de 90 Seconds to Midnight, entre prêche de crooner à la Raymond Watts et Mr Loyal grimaçant).

The Below pointe un doigt accusateur : "'l'humanité est en train de se suicider tout en observant passivement, aveugle à ce qui se passe juste sous ses yeux", dénonçant aussi bien les désastres écologiques que les politiques populistes autoritaires et les conflits armés dont les civils sont victimes... Tout est en place pour nous plonger dans une atmosphère sinistre et dont l'emploi de sonorités industrielles résonne alors tout particulièrement avec le propos, apocalyptique. Les cadences hypnotiques ne paniquent d'ailleurs que le temps de No Place is Safe et ses paroles explicites : "everyone's a target".

On apprécie l'équilibre trouvé par The Below entre expérimentation bruitiste et accroche musicale. Un peu à la manière de Skinny Puppy, à qui il ne ressemble pourtant pas vraiment, Bo Magnusson réussit à associer avant-garde et séduction : sa musique n'est ni hermétique ni pour autant lisse ou facile. Grâce à des nappes mystérieuses et un vrai sens du suspense qui s'exprime aussi bien dans les réverbérations de percussions théâtrales que ce chant ironique, suintant d'émotions diverses et parfois dément, The Below nous tient en haleine.

Immutable Decay est sombre, effrayant et pessimiste. Mais c'est aussi un EP particulièrement réjouissant : malgré les horreurs qui l'ont inspiré, malgré son climat glacial de défaite et de désolation, c'est un réel plaisir de se perdre dans ses terrains délabrés et ses ruines industrielles hantées. Il se dégage à la fois quelque chose de très concret, très texturé et terre-à-terre, mais également un parfum de mystère un brin fantastique, associant la matière et l'âme, le tonitruant et l'éthéré dans un brouillard lugubre délectable. Brillant.