Chronique | Sonic Area - Music for Ghosts

Pierre Sopor 7 mars 2018

Alors que l'on attend l'arrivée future d'un best-of de SONIC AREA pour 2018, on pourrait tout aussi bien se replonger dans le magnifique Music for Ghosts datant de 2012. Sorti quasiment quinze ans après Sunchase, premier album du projet d'Arco Trauma, Music for Ghosts arrive surtout après Phenomedia, l'album totalement fou réalisé en collaboration avec PUNISH YOURSELF qui avait donné lieu à quelques concerts mémorables.

Après l'univers très cyberpunk et dystopique de Phenomedia, Music for Ghosts marque un changement radical, et ce dès sa pochette qui nous renvoie plus d'un siècle en arrière : le dépaysement avec les univers où la technologie et les médias sont omniprésents est total. Tintement de cuillère sur le verre d'absinthe, titre évoquant Poe : Never Ever More plante le décor gothique de l'album, avec sa mélodie hantée semblant sortir d'un vieux gramophone. La fée verte et tout le folklore hallucinatoire allant avec : quelle meilleure introduction à un voyage hanté par les esprits ? Le sucre a fini de se diluer, les synthés apportent une intensité dramatique alors que l'univers fantasmagorique de l'album se met en place et que la voix d'un médium invite les esprits à se manifester. Ce médium, est-ce le musicien, dont l'oeuvre sert à la fois de moyen de communication avec l'au-delà que de vaisseau permettant aux spectres - les siens, évidemment - de s'exprimer ? On n'en doute pas.

The Living Carousel, dans la même veine fantastique lugubre, évoque inévitablement un cirque hanté, ou un vieux manège sous la pluie. Très vite, la cadence s'affole et se fait frénétique avec The Infernal Clockwork, où les aspects plus IDM de SONIC AREA ressurgissent, mais aussi son goût pour les musiques plus tribales. Synthés fantômatiques, sons passés à l'envers, orgue de foire, cordes stridentes, cartes battues, vieux piano, voix lointaines : tout l'attirail de la maison hantée est déployé, qu'il s'agisse de titres possédés et enlevés comme l'épique et théâtrale Eureka ou de passages plus ambiants  comme la superbement lugubre Middle Night Ballet en fin d'album, ou Haunted Hall Motel Ballade plus tôt dans l'album, et son saxophone de sinistre présage, très Lynch. Music for Ghosts permet aux esprits frappeurs les plus agités de s'exprimer, aussi bien qu'aux spectres plus mélancoliques perdus dans la brume. Le voyage musical, d'une force narrative très cinématographique, s'achève sur un pic d'intensité avec la rythmique martiale et les choeurs de Funeral March of an Empire, qui nous permet encore une fois d'apprécier l'ambition des morceaux, leur richesse, mais aussi la précision et l'exigence du travail fourni, aussi bien sur le sound-design que sur les compositions et leur assemblage.

Avec Music for Ghosts, SONIC AREA propose une véritable bande-originale d'un film fantastique gothique, où les éléments industriels, orchestraux et tribaux se mêlent à merveille pour créer un ensemble hanté, funèbre, dans lequel tout le folklore gothique se retrouve. Si vous avez été maudit par une diseuse de bonne aventure, que vous errez en robe de chambre dans un vieux manoir sous le regard accusateur des portraits accrochés au mur ou que vous avez déjà été à une séance de spiritisme avec Bram Stoker, foncez. Music for Ghosts est beau comme un vieux cimetière par une nuit de novembre.