Chronique | Slipknot - We Are Not Your Kind

Pierre Sopor 8 août 2019

SLIPKNOT est devenu un monstre. On sait que le groupe qui autrefois divisait les auto-proclamés puristes est désormais devenu un des plus gros phénomènes de la scène metal, fédérant un public large et varié. Au fil des sorties, la bande a peaufiné ses riffs et ses atmosphères pour étoffer la rage et la haine brute qui l'animaient à ses débuts pour aboutir il y a cinq ans à The Gray Chapter, album impressionnant et varié à l'ambiance funèbre. Le groupe semble d'ailleurs maudit, tant le contexte dans lequel sort We Ar Not Your Kind est à nouveau compliqué, entre drames personnels et querelles internes.

Corey Taylor expliquait qu'avec ce sixième album, SLIPKNOT reviendrait à un son plus proche de ses deux premiers albums. Mouais : ce genre d'annonce, on connaît, et c'est rarement prometteur. Heureusement que Corey n'a pas dû écouter l'album. Parce qu'il faut environ deux minutes, soit le temps de laisser passer l'intro instrumentale Insert Coin (dommage qu'on ne retrouve pas une entrée en matière aussi puissante que XIX sur le précédent) et d'entendre les chœurs de Unsainted sur lesquels le chanteur vient coller son chant clair pour réaliser que non, SLIPKNOT ne se vautre pas dans la démarche nostalgique vaine de sens.

Certes, les acquis sont là : puissance des diverses percussions, alternance chant clair / beuglements, sauvagerie et mélodies, quelques scratchs... on est bien en terrain connu, mais la violence des débuts n'est pas le propos ici, bien que certaines rythmiques primitives et tribales aient des airs d'IOWA. C'est moins sale, moins rageur, moins haineux mais c'est aussi mieux fichu, plus riche et le tout baigne dans une ambiance dépressive et noire plutôt réussie.

S'ouvrir et se varier, ce n'est pas s'affaiblir. SLIPKNOT le prouve encore une fois : les meilleurs moments de We Are Not Your Kind ne sont pas ses plus violents, dont les coutures sont parfois trop apparentes pour convaincre (même si Nero Forte avec son hallucinant refrain qui fera cracher leurs cornflakes aux ayatollahs les plus bornés, Orphan et Red Flag sont assez jouissives dans le genre rouleau-compresseur), mais au contraire les passages où la troupe expérimente. Et We Are Not Your Kind est rempli de ces moments étranges ou atmosphériques, c'est sa principale force.

Ses nombreuses transitions cauchemardesques lient l'ensemble dans cet esprit bizarre, étonnamment nuancé. What's Next, par exemple, nous prépare à Spiders et sa mélodie lugubre qui lui confère des allures de comptines aux inspirations industrielles (on pense très fort au premier album de BLACK LIGHT BURNS), où les guitares arrêtent de nous matraquer à coups de gros riffs pour partir dans des directions plus inattendues et presque bruitistes. Il n'y aura pas de pogo en live ni de sentimentalisme exacerbé, mais c'est parmi ce que l'album propose de mieux : la sauce prend d'ailleurs moins bien avec My Pain, moins inspirée bien que tout aussi inattendue chez SLIPKNOT.

We Are Not Your Kind est un monstre polymorphe et légèrement boiteux : on a régulièrement l'impression d'écouter le travail d'artisans rodés et doués qui nous ressortent les habituelles rengaines, et puis, soudainement, SLIPKNOT met en avant cette facette que l'on devine depuis une grosse décennie maintenant plus libre, plus expérimentale, capable de piocher dans le gothique, l'industriel voire le rock progressif psychédélique des petites choses qui rendent tout de suite sa musique plus intrigante. Entre nous resservir une popotte qu'on a déjà goûté en mieux par le passé, qui passe toujours bien mais ne restera pas en mémoire, ou se libérer et explorer de nouvelles routes, SLIPKNOT n'a pas encore tranché mais We Are Not Your Kind augure peut-être d'une suite de carrière plus barrée et originale. Peut-être.