Chronique | Skinsitive - Accidents

Pierre Sopor 28 avril 2021

On le sait depuis le tout début du projet : Virginia B. Fernson avait trois albums en tête pour SKINSITIVE. Pourtant, on a bien cru que ces Accidents ne verraient pas le jour. Cinq années le séparent de son prédécesseur, le projet a évolué, et son autrice s'est entre-temps essayé à la production (LÉA JACTA EST) ou au post-rock instrumental (SHE LEFT THE DEVIL FOR FIRE), des expériences qui, à n'en pas douter, ont nourri SKINSITIVE qui sort enfin ce troisième disque (que vous pouvez acquérir sur bandcamp).

Sur Somebodies, on entendait presque le projet évoluer au fur et à mesure des pistes, se hisser vers plus de simplicité, délaissant l'électronique pour un son plus rock, presque folk, où le français s'imposait comme une évidence. Accidents reprend là, aboutissement d'une évolution qui s'est faite sur une petite quinzaine d'années. Il suffit d'entendre l'enchaînement entre Collisions et Cosmos, Cosmea pour avoir, déjà, un bon tableau de ce qui nous attend dans l'album : une alternance parfois furieuse mais toujours pleine de grâce entre ombres et lumières, un piano mélancolique et des textes à la fois durs et tendres où il est question de passions dévorantes, de rages, de rencontres, d'accidents et de séquelles.

SKINSITIVE se reconnaît en quelques notes et refuse toujours les formules faciles, même avec des chansons plus dépouillées. L'album est accompagné d'un recueil de nouvelles étonnamment complémentaire. On y retrouve l'essence de SKINSITIVE (le lien entre les deux œuvres est si clair que la musique de l'un résonnerait presque à la lecture de l'autre) : amours cannibales, angoisses, tensions, espoirs, esprit de revanche face aux oppresseurs les plus dégueulasses (tel ce politicien à l'inspiration évidente - il suffit de décaler ses initiales), violence, ironie, regrets, mais aussi, et surtout, l'envie de vivre et d'aller vers la lumière, le tout raconté par une plume mordante. Car dans cette poésie crue, cruelle même, il y a une quête de guérison presque cathartique.

C'est ce souffle de vie qui se dégage finalement de manière criante dans Accidents. Malgré la voix grave et les spoken words en apparence pessimistes (la crépusculaire Trace ou la pesante Peut-Être et ses riffs méchants faisant monter la pression jusqu'à l'explosion), l'album respire à plein poumons, que ce soit lors d'un élan de guitare ou dans ses morceaux les plus secoués. Ainsi, les refrains de Rien ne Presse ont des airs libérateurs, Le Sacre et ses accents révolutionnaires rageurs plein d'espoirs nous embarque dans son tourbillon effréné, la lourdeur et la rugosité apportées par le chanteur et la bassiste de SHAÂRGHOT dans un registre inhabituel pour eux sur Sans drame, Sandra et son piano débridé ont un côté viscéral et jouissif. Chez SKINSITIVE, on se bat contre les injustices, contre la vie, contre soi-même, contre tout, sans jamais se laisser abattre.

Après trois albums, SKINSITIVE n'a rien perdu de son âme tourmentée qui habite chaque morceau de l'album, mais la nostalgie et les coups de gueule d'Accidents tendent vers une forme d'apaisement, peut-être l'acceptation de certaines lésions une fois le trauma passé. Cela se traduit dans les textes, mais aussi via un son direct, organique et authentique comme pour dire que les petits accidents y ont aussi leur place (le clin d’œil final où l'on entend Olivier Hurtu, batteur sur tout l'album mais aussi chez SHAÂRGHOT, demander si la prise est bonne). On ne sait pas quel avenir a ce projet un peu chamboulé, un peu abimé et si précieux, mais Accidents pourrait en être une bien belle conclusion au goût doux-amer, clôture mélancolique mais résolument tourné vers l'avenir.

Comme Virginia Fernson le dit dans ses nouvelles, "V'la un truc qu'on n'aurait jamais affirmés jusqu'ici, ou alors en se tenant les côtes, tordus de rire. Simple, c'est bien parfois".