Chronique | Rïcïnn - Nereïd

Pierre Sopor 22 octobre 2020

il n'aura fallu qu'un album pour que RÏCÏNN, a.k.a Laure Le Prunenec (IGORRR, CORPO MENTE, ELE YPSIS), fasse exister un univers personnel à la fois onirique et dramatique où les tourments et émotions les plus intimes prennent vie avec élégance et intensité dans un mélange avant-gardiste d'influences néo-classiques, baroques et metal (pour faire simple). Nereïd arrive donc quatre ans après le magnifique Lïan (la continuité semble assurer dès l'artwork, sublime) et de nombreuses dates d'IGORRR, dont la popularité ne fait que croître. Autant dire que l'attente est forte et nos espoirs immenses.

Chez RÏCÏNN, on est soufflé par le chant, puissant et poignant. On n'y peut rien, c'est un fait : notre oreille est instinctivement attirée par l'humain et cette voix déborde d'humanité, transmettant à l'auditeur tout un panel d'émotions tumultueuses. Dans Nereïd, le chant est plus que jamais au centre du travail, captant l'essentiel de notre attention. Pourtant, c'est cachée parmi des choeurs saisissants et véhiculant à eux seuls la puissance d'un drame antique que Laure Le Prunenec commence à nous plonger dans son petit monde inspiré de la mythologie grecque (les Néréides, filles de Nérée et Doris, sont des nymphes marines) et amalgame de cultures variées.

Paradoxalement, il y a dans ces superpositions baroques de couches et de voix qui lancent l'album une forme d'épure quasi minimaliste tant les instruments savent se faire tout petits pour laisser la place à l'expression brute de sentiments dont la transmission est renforcée par la langue créée par l'artiste : on ne se focalise pas sur les mots mais sur ce qu'ils évoquent, même lorsque l'anglais pointe le bout de son nez. Nereïd prend le temps d'attirer l'auditeur, de le bercer et de l'envoûter pour, au final, le chambouler et le marquer au fer rouge quand le rythme s'emballe. Car oui, l'orage qui semble souvent lointain, finit par éclater avec violence. C'est le cas dès Doris (avec Travis Ryan du groupe CATTLE DECAPITATION au chant) et Nereïd dont les conclusions en apothéose, amenées par la batterie tribale de Sylvain Bouvier et la guitare menaçante de Laurent Lunoir sont d'une beauté à se damner : growl, viole de gambe et violoncelle cohabitent finalement à merveille.

On apprécie le pouvoir d'évocation dramatique de l'album, entre les inflexions funèbres de Missäe, les nappes électro lugubres de Psamatäe, l'élégant piano accompagné des glitchs électroniques de Gautier Serre sur Söre, les contrastes entre des choeurs graves et inquiétants et la voix plus haut perchée et éthérée de Laure Le Prunenec. On se laisse embarquer par la mélancolie de l'ensemble mais aussi sa variété, au risque peut-être de semer en route les moins attentifs. La musique de RÏCÏNN n'est pas là pour vous divertir et réclame non seulement votre écoute totale mais aussi, probablement, une partie de votre âme : c'est le prix à payer pour apprécier pleinement le voyage et ne pas se perdre en route.

Avec ce deuxième album de RÏCÏNN, Laure Le Prunenec confirme qu'elle mérite pleinement sa place parmi les plus grandes prêtresses des ténèbres, de Diamanda Galás à Chelsea Wolfe, en passant par Lisa Gerrard. Au-delà de la technique, il y a dans Nereïd une viscéralité qui nous touche ainsi qu'un sens du théâtral, tragique, et une touche de mystère magique et précieux que l'on essaye de faire durer en relançant l'écoute. Tout cela est très beau.