Chronique | PØGØ - Chimera

Pierre Sopor 2 novembre 2023

Apparu il y a un an et demi sans crier gare, PØGØ  n'a depuis que très peu éclairci son mystère. Sorti du chaos numérique avec tout un lot de symboles cryptiques et de couleurs vives, le duo réunit Bastien Hennaut, chanteur du groupe de metal indus Horskh, et Kanay du duo dub Tetra Hydro K. D'autres singles ont suivi, il y a eu quelques apparitions live sur de grandes scènes (le Motocultor et les Eurockéennes) mais le projet cultive un certain secret. L'arrivée d'un premier album, Chimera, permet de nous plonger enfin un peu plus dans cet univers atypique.

Né de l'envie de mélanger trap et metal, avec pour influences les boss du genre comme Ghostemane, Scarlxrd ou Ho99o9, PØGØ a également donné vie à un univers cyberpunk dont les codes esthétiques sont respectés : les symboles mystérieux, cette touche futuriste teinté de mysticisme, les couleurs criardes... Un certain hermétisme entretenu aussi bien par l'univers que la discrétion des deux musiciens quand il s'agit de promotion. PØGØ n'en révèle pas trop et laisse la musique parler, en l’occurrence un premier album très court. Chimera dure un quart d'heure, soit sept morceaux d'environ deux minutes chacun, un condensé d'efficacité raccord avec les pratiques actuelles de consommation de la musique.

A cette allure, on n'a effectivement pas le temps de s'ennuyer. Une mélodie sinistre, des beats poids-lourd, des riffs méchants : les ingrédients sont jetés dans la marmite et nous explosent à la tronche avec Trap Dead, un premier titre agressif et puissant, tout en tension. Rien ne dépasse ni ne s'étire artificiellement, PØGØ se la joue poids lourd et nous saute à la gorge. C'est violent et menaçant, Bastien nous balance ses vers avec rage (Carnage la bien nommé, ça cogne très fort), plongeant souvent dans un registre plus guttural qu'avec Horskh mais s'aventurant aussi parfois vers quelque chose de plus posé (le rap lugubre d'Inside Your Throat et son atmosphère glauque réussie, le danger contenu d'Erase).

Il est difficile de résister à l'assaut tant tout est taillé pour cartonner et pourtant PØGØ échappe aussi aux moules confortables préconçus. Certes, le format n'évoque pas forcément l'avant-garde et pourtant le duo se risque à des hybridations risquées, taquine l'autotune et assume quelques passages bien bruitistes comme si, en bons sales gosses, ils avaient aussi cette envie d'agacer un peu tout le monde. On ne peut par exemple pas forcément dire que Free Poison, avec ses paroles crachées, ses beats à la Meat Beat Manifesto, son rythme écrasant et ses glitchs épileptiques, PØGØ fasse dans le facile. Chimera est une curiosité : laboratoire d'une poignée de minutes, c'est aussi un condensé d'énergie, un truc qui nous explose au visage, un shot d'adrénaline puissant et lourd qui pose les bases d'un univers atypique.