Chronique | Pest Modern - Rock'n'Roll Station

Pierre Sopor 16 août 2018

On est tous passé par ces phases où l'on trouve que tout se ressemble, que tout est trop convenu, prévisible, qu'on n'a plus rien entendu d'innovant, de libre, de fou depuis des lustres. En 2018, non content de repartir en tournée avec les cultissimes TÉTINES NOIRES, Emmanuel Hubaut a l'antidote parfait à ces moments d'ennui : le chanteur se lance dans une nouvelle aventure avec son Joël de père, artiste plasticien notamment créateur et recordman du lancer de camembert (ça plante un contexte). "Aventure" est bien le mot qui colle le mieux à PEST MODERN (même si les mots "macadam", "tractopelle", "ondulatoire" ou "ventriloque" auraient aussi bien fait l'affaire, pour des raisons que l'on ignore), tant l'inconnu semble rôder derrière chaque note et le voyage s'avère dépaysant.

Imaginez le tableau : une guitare que l'on croirait parfois sortie des années 50/60 californiennes (comme ça pouvait être le cas parfois dans LTNO) accompagne des paroles absurdes éructées par une voix gutturale au milieu de samples et boucles rythmiques aux airs très batcave ou indus des années 80/90. Oui, PEST MODERN a quelque chose de carrément dada dans sa démarche, une folie qui nous rappelle ce que LES TÉTINES NOIRES pouvaient proposer de plus étrange : c'est souvent à la fois drôle et malsain, un peu effrayant aussi. Il faut dire qu'un certain désespoir semble résider dans ces paroles qui prêtent, à priori, plutôt à sourire : Ca Va Couiner en est même triste à mourir, avec sa guitare mélancolique et son "on est morts, tout va bien, on est morts dans la moumoute" répété, comme une tentative perdue d'avance de communiquer. Ce drôle d'objet qu'est Rock'n'Roll Station n'est cependant pas juste une curiosité étrange : on éprouve un réel plaisir à se laisser trimballer par cette guitare, et les mots que l'on devine dans les borborygmes, cette façon qu'ils ont de surgir de nulle part, forcent l'attention : on est curieux d'écouter ces étranges paroles sans queue ni tête. Après l'enchaînement Rabbits on the Moon / Rock'n'Roll Station quasi mystique et anxiogène (paniquée, la voix nous explique que "les grosses modules avec les globules, ça pullule, vite, vite, le liquide vaisselle, c'est comme du parpaing dans la tête"), l'album décolle avec des morceaux au rythme plus enlevé, dès Bouche and Bouche où se mélangent une urgence post-punk et une guitare surf rock qui évoque tellement une version retro de l'Amérique qu'on se croirait chez Tarantino. Ce background confère à PEST MODERN un côté rock'n'roll très cool au-delà du délire et de la folie : Les Insectes, Pest ModernLigne Barbar : autant de morceaux qui passeraient très bien en voiture pour la grande majorité des gens sur Terre, ceux qui ne comprendront pas le français. Et puis, en vérité, peu importe : même ceux qui comprennent le français ne comprendront pas pour autant le sens des paroles de ce projet bien singulier !

Ce premier album de PEST MODERN est passionnant. Rock'n'Roll Station est passionnant non seulement car il est le résultat de ce que peut donner la créativité quand elle s'exprime librement, sans contrainte, sans chercher à répondre à telle ou telle attente, mais il est aussi passionnant car le résultat, bien que déstabilisant (voire effrayant) au début, et une fois passé le réflexe initial du rire, s'avère des plus plaisants à écouter au point de vite devenir addictif. C'est à la fois barré et cool, drôle et angoissant, moderne et retro. Promis, passez cet album en soirée mondaine, vous gagnerez des points de sociabilité.